Si vous cherchez quelques couleurs chaudes, quelques éclats dorés dans le ciel parisien, ne vous donnez plus toute cette peine. Toutes ses forces vives et ses couleurs ont été subtilisées. Le coupable est niché dans le 16e arrondissement de Paris. Avec l’exposition Face au Soleil, un astre dans les arts qui se tient du 21 septembre au 29 janvier 2023, le Musée Marmottant collectionne tous les rayons lumineux, décline une kyrielle de soleils. Elle se propose d’être didactique et transversale : en plaçant en miroir la science et la peinture, elle montre quels sont les impacts du progrès des connaissances dans la représentation du soleil, pointant du doigt la persistance comme l’abandon de certains topoi. Elle cristallise le glissement de la croyance au savoir, leurs entrelacements, aussi. Mais elle est aussi l’occasion de contempler encore et encore l’exceptionnelle beauté des tableaux présentés. L’exposition donne à voir une petite somme de pépites : de Durer à Turner, de Friedrich aux époux Delaunay, en passant par l’incontournable Impression soleil levant de Monet. Alors pour contrer les brimades de l’heure d’hiver, et la météo moribonde, direction le musée Marmottan, doté d’une paire de lunettes de soleil, et d’une crème anti-UV.
Une didactique claire : l’approche chronologique
L’exposition s’organise de manière chronologique : la mythologie égyptienne introduit la thématique du soleil. Elle s’achève – entre autres – avec les réalisations de Calder. Ainsi, dans l’Antiquité égyptienne, le soleil est au premier plan. Il s’illustre à travers une multitude de symboles : sous les traits de l’enfant, du scarabée, quand il s’agit du soleil qui se lève – l’aube incarnant ici la renaissance, celle du jour et celle de l’esprit après la mort – ou sous les traits de Râ, le dieu-faucon qui présente sa pleine puissance. Quand on le représente sous forme de sphère, il est un rond rouge écarlate, sanglant – essence de vie – qui se porte littéralement sur la tête. La multitude des représentations rend compte du rapport vital que les Égyptiens entretenaient avec le soleil. Un rapport vital qui est compréhensible dans son omniprésence : de la genèse aux rapports de force divins, l’astre solaire est partout. Toutefois, cette omniprésence est dite dans un cartel explicatif, elle n’est pas montrée. Il n’y a là qu’une toute petite poignée d’ouvrages. Si on en apprécie la finesse et la délicatesse, on peut en regretter le petit nombre. Il en sera ainsi pour toute l’exposition. C’est qu’il n’est pas seulement question de l’antiquité égyptienne. Aussi, la mythologie gréco-romaine prend bien vite le relais. Une poterie présente Hélios, cheveux aux vents, auréolé des rayons incandescents du soleil, qui tient fermement les rênes de son char. De la barque de Râ au char d’Hélios, il n’y a qu’un pas. Ces deux représentations montrent l’aspect cyclique de cet astre qui rythme la nature. La mythologie gréco-romaine ne se résume évidemment pas à cette jolie poterie. Mais, il est déjà question de l’esthétique et de la pensée chrétienne. Il est vrai, le parcours chronologique n’admet pas une focalisation soutenue sur un pan particulier de l’Histoire. C’est qu’il s’agit, au contraire, d’un voyage temporel, d’un cheminement qui fait escale sur quelques moments phares dans le traitement artistique, idéologique et scientifique du soleil. Cela peut être frustrant, mais les ouvrages exposés sont des chefs d’œuvres qu’on découvre et redécouvre, dont l’énième rencontre a quelque chose des premières fois, conjuguant l’adrénaline et l’exaltation du premier regard.
Aussi, un tarot, sous glacis, celui d’Antonio Cicognara, chatoie, tout d’or vêtu. Il exhibe dans les mains d’un chérubin un soleil toujours anthropomorphe, visage plutôt que corps, certes, mais rouge encore, et désormais secondaire. « Lux fiat » dit Dieu au quatrième jour de la création. Et voilà le soleil réduit au statut d’objet créé. Il n’est plus l’être divin, il est la créature. Il est plus petit, placé à l’arrière-plan. Dieu lui a volé sa lumière mais il ne lui a pas ôté tous ses symboles. Sol Justitiae d’Albrecht Dürer, réalisé à la toute fin du XVe siècle, exposé à côté, fait partie des pépites de l’exposition. L’estampe présente un lion majestueux que précède un homme, auréolé, masqué et lumineux, tenant une épée et une balance, celle de la Justice. Dans cette représentation syncrétique, Dieu, Hélios et la Justice se confondent. Cette dernière n’a plus les yeux bandés, elle voit tout à travers le masque dont les trois pointes rappellent la Sainte-Trinité. Le juge-soleil, entité suprême de la fin du monde, ce démon-chimère qui incarne la puissance divine et la clairvoyance prend vie sous la pointe de l’artiste. Et le lion, figure du zodiac, signifie l’ardeur, la puissance du soleil : celle des mois d’été, dont il est le symbole. Puis, au XVIe et au XVIIe siècle, l’univers bascule : la révolution scientifique est en marche sous la lunette de Copernic et de Galilée. Le géocentrisme, ébranlé, s’écroule : l’astre solaire est au centre de l’univers. Voilà qu’il reprend sa prime place, au centre des intérêts et des tableaux.
Le musée Marmottan propose alors une promenade à travers une jolie collection de paysages. Le genre se développe sérieusement au XVIIe siècle et permet de présenter le soleil de manière plus réaliste, à travers la lumière et la couleur, comme un astre surplombant plus ou moins discret. Les peintres démontrent leur maîtrise à travers les effets du soleil comme la diffraction par exemple. L’astre solaire est désormais saisi comme un objet scientifique. Quelques haltes s’imposent alors : voilà deux œuvres de William Turner puis deux autres de Caspar David Friedrich pour emporter le cœur. Et le soleil devient mystique : écho des états de l’âme. Le romantisme est né.
Pour lui faire face, voici Impression, soleil levant. Il n’est plus à commenter. Le tableau se contemple seulement, comme un appel à la transe avec le soleil, bille rouge, perçant les brumes matinales qui lèche les eaux calmes du port du Havre. Il est un éclat de génie du peintre, Claude Monet. L’impressionnisme (comme les courants qu’il impulse ensuite) qui donne la primauté à l’immédiateté de cette peinture faite sur nature, double émotionnel que l’on arrache au paysage, s’illustre à travers une succession de grands noms, et de grands tableaux. Camille Pissarro, André Derain, Paul Signac, les chefs d’œuvres se suivent et montrent la radicalisation de la touche du peintre, de la palette chromatique, l’éloignement aussi des idéologies premières à la faveur de la science. Avec les nouvelles découvertes, le soleil, plus que jamais, est un objet scientifique qu’on décortique sous la loupe, et sous les coups de pinceaux. En 1839, le chimiste Eugène Chevreul publie De la loi du contraste simultané des couleurs, un traité dans lequel il est question d’un phénomène optique : l’œil humain perçoit la vivacité de la couleur à travers des contrastes. La couleur sera plus ou moins frappante selon les teintes qui l’entourent. Sa force n’est pas seulement liée aux pigments, elle dépend surtout de ce qui l’environne : chaque couleur influençant à sa manière la perception. C’est notamment à partir de ce traité que les impressionnistes vont développer leur rapport aux couleurs. Plus tard, Sonia Delaunay fonde toute sa pratique sur leurs juxtapositions, le jeu avec les contrastes. Elle fait un pas conséquent avec sa matière « couleur-lumière » vers l’abstraction. Ainsi, la lumière elle-même est passée au crible : elle est décomposée, elle est un élément physique qui s’observe. Dès lors, un gigantesque tableau d’Edvard Munch dit l’éblouissement causé par le soleil, et sa puissance vitale. En fait, l’art relaie plus que jamais le rationnel.
La formidable persistance des mythes
Ce qui est épatant à travers cette exposition, c’est l’extraordinaire persistance des mythes. La mythologie gréco-romaine est rapidement évoquée si on suit le fil chronologique, mais finalement, on la perçoit tout au long du parcours. Ainsi, les figures qui évoquent le soleil comme Phaéton, Apollon ou Phébus sont essaimées dans toute la culture occidentale. Elles débordent allègrement du cadre temporel et jaillissent dans les beaucoup d’œuvres d’arts. Que dire alors de Louis XIV, le roi-Soleil qui se présentait sous les traits d’un Apollon orné d’une couronne de rayons lumineux et de fils d’or ? Les médaillons, les tableaux, les dessins de costumes royaux donnent à voir la fusion des deux personnages : celle du chef d’État et celle du chef des cieux païens qui, à travers les symboles, accrédite le roi au rang des plus puissants. C’est que le soleil mythologique coexiste avec le soleil comme objet scientifique grâce à la charge symbolique dont les récits antiques l’ont chargé. Il n’y a pas de concurrence finalement entre le mythe et la science, parce que le mythe dépouillé de la croyance vaut comme une série de symboles à partir desquels notre culture s’est développée.
Aussi, Phaeton, un personnage important dans la mythologie gréco-romaine, est présenté à plusieurs reprises, à plusieurs époques dans l’exposition. Le jeune garçon grandit sans père, près de sa mère, l’Océanide Clyménée. Quand celle-ci lui révèle que son père est le Soleil, il se rend auprès de lui pour en avoir la preuve. Son père étincelant l’éblouit au milieu d’une foule divine qui organise le temps sur Terre : le Printemps, ou encore les Heures se tiennent près de lui. Le Soleil confirme sans plus de suspense qu’il est bien le père de Phaeton. Rempli de joie, et d’orgueil, Phaeton demande une preuve plus implacable encore et exige de mener le char de son père dans le ciel. Aucune explication du Soleil ne le convainc. Il s’obstine et conduit bientôt de char solaire. Mais faute de puissance et d’expérience, celui-ci perd le contrôle. Il regrette son impétuosité, mais il est trop tard, il est lancé dans la course, il n’y a pas de retour possible. Et Zeus, pour éviter que le jeune homme embrase dans sa maladresse toute la Terre, le foudroie, le faisant ainsi tomber du ciel. L’image de Phaeton est l’expression de l’audace, de l’arrogance liées à l’inexpérience, et sa punition fatale. De nombreuses œuvres rendent compte de sa chute, comme celle, plus loin, d’Icare qui voulut s’approcher trop près du Soleil et qui comme Phaeton en mourut. L’éblouissement, le rapport de force illusoire avec l’astre se dit donc dans les mythes comme dans la science : les peintres peignent volontiers l’impossibilité de voir véritablement le soleil, le motif illusoire puisqu’il est impossible d’en maintenir la vision comme Albert Trachsel qui peint en 1909 Soleil, une œuvre dans laquelle l’astre occupe la moitié de l’espace à travers le halo blanc qui irradie violemment sur toute la toile grignotant dans son déploiement tous les contours.
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Dès lors, cette exposition qui aborde une thème par tous, bien connu est instructive. L’évolution de l’image du soleil dans ses grandes lignes offre un rappel presque scolaire. Mais elle permet de mettre le pied à l’étrier quand il s’agit d’aller un peu plus loin dans l’étude scientifique et ses implications dans les manières de peindre. En outre, le thème est vaste, et il aurait pu être plus amplement développé. Mais finalement, le musée Marmottan titille la curiosité et laisse à chacun le soin d’approfondir plus encore ce qui a été simplement évoqué. Il n’en reste pas moins que la sélection d’œuvres est particulièrement ravigotante et stimulante et qu’elle permet de dépasser les petits regrets.
Illustration : Claude Monet, Impression, soleil levant, 1872, Huile sur toile, 50 cm x 65 cm , Paris, musée Marmottan Monet, © Musée Marmottan Monet, Paris / Studio Christian Baraja SLB