Jacques Kraemer
Jacques Kraemer

La réédition de l’indispensable Thomas B, à placer dans la bibliothèque idéale, et une pièce hommage à Benjamin Fondane nous donnent l’occasion de partir à la rencontre du trop méconnu écrivain, metteur en scène et comédien Jacques Kraemer.

Thomas B de et avec Jacques Kraemer

On s’emmerde au théâtre, c’est pour ça que l’on n’y va plus. Il y a sept ans, j’avais déjà vu Thomas B. Titillé par l’idée d’un hommage à Thomas Bernhard (auteur au génie comique encore trop méconnu) dont je suis un grand admirateur, même si la lecture de Oui m’a valu vomissements, diarrhées et mauvaises sueurs, je ne voulais pas rater ça. Peu après la première représentation à laquelle j’avais assisté, je m’étais procuré un ancien numéro de l’Avant-Scène Théâtre pour relire ce grand texte de Kraemer (qui figure en bonne place dans ma bibliothèque idéale). Deuxième représentation et la magie du jeu d’acteur et des articulations ingénieuses de la mise en scène opèrent toujours. Aucun risque de nausée pour Thomas B., juste le plaisir d’assister à un spectacle jubilatoire qui ne s’essouffle à aucun moment et offre un ravissement continu. Thomas B. est un célèbre écrivain incapable depuis plus de trois ans d’écrire le premier mot de sa prochaine pièce. Il évoque son ex-femme de ménage, Beckett, des auteurs et un pays qu’il exècre, sa sœur sur le point d’arriver et qui va fatalement l’empêcher d’écrire (une scène téléphonique qui a provoqué chez moi une belle hilarité). Thomas B. retrouvera finalement le flux… À la sortie du théâtre, je parle de la pièce avec un ami qui a adoré sans réserve. Chartres, ville moisie, sauvée par La Compagnie Jacques Kraemer… On évoque cette tendresse de l’acteur qui se glisse en déséquilibre dans le texte et crée une savoureuse alchimie. Une pièce pour les écrivains et au-delà. Et puis une question s’impose. Pourquoi une si grande pièce ne rencontre pas plus d’écho ? On aimerait que tout le monde en profite avec l’assurance que le public pour un soir ne s’emmerderait pas au théâtre. On notera et se réjouira de l’initiative des éditions Tituli d’avoir récemment réédité (le texte était devenu à peu près introuvable) cet indispensable Thomas B.

Le Fantôme de Benjamin Fondane (Dernière pièce en date de La compagnie Jacques Kraemer)

C’est aussi ce que l’on retrouve dans l’œuvre de Kraemer, des hasards objectifs, signes et clins d’œil de grande portée saupoudrés dans sa mise en scène

Trop à dire sur l’œuvre du metteur en scène inventif et son univers littéraire : celui du théâtre antique et classique (Eschyle, Corneille, Racine…) ou encore celui de la poésie (Anna Akhmatova, Ossip Mandelstam, Boris Vian…). Jacques Kraemer a très à cœur de payer ses dettes à la littérature puisque l’on retrouve dans son œuvre de nombreux hommages à ceux qui incontestablement ont compté pour lui. A l’actif de sa compagnie, quinze pièces depuis 2005. Le Fantôme de BenjaminFondane sera très prochainement à l’affiche à Paris – au théâtre de la Vieille Grille – et Nanterre. J’ai eu la chance de découvrir ce spectacle il y a seulement quelques jours dans le cadre très intimiste du Studio de Mainviliers, un lieu offrant une vraie proximité avec le comédien et son jeu d’acteur. J’avais déjà lu et apprécié Le mal des fantômes (publié par Verdier). La mise en voix donne force aux poèmes de Fondane. Se joignent deux autres fantômes : Rimbaud et Baudelaire qui font quelques belles apparitions dans la pièce. Benjamin Fondane était un juif roumain mort à Auschwitz. Poète reconnu, il était aussi essayiste et philosophe. Je ne connaissais pas son texte critique sur Baudelaire et l’extrait offert et joué dans la pièce est tout à fait savoureux. Peu de moyens pour la mise en scène bricolée avec seulement une lampe de poche et une bougie (enfin presque : je tairai les très belles surprises qu’elle réserve). Une photo du poète prise par Man Ray est brûlée sur la scène peu avant la fin du spectacle. L’odeur de la fumée est parvenue à mes narines alors que je découvrais un texte poignant qui évoquait les camps. Un des éléments de la mise en scène et de ce spectacle que je vous invite vivement à découvrir. Le théâtre de la Vieille Grille se situe justement dans le quartier où résidait (marchait) Benjamin Fondane avant son arrestation par la Gestapo. C’est aussi ce que l’on retrouve dans l’œuvre de Kraemer, des hasards objectifs, signes et clins d’œil de grande portée saupoudrés dans sa mise en scène. Dans son spectacle Agatha, on visionnait, projetées sur un écran, des images de vagues filmées à quelques enjambées de l’hôtel des Roches Noires de Trouville. C’est aussi avec ce souci du détail et des belles symboliques, toujours présentes dans les créations de Kraemer, que naissent les émotions. Pour ma part, Le Fantôme de Benjamin Fondane m’a donné envie d’approfondir mes lectures du poète et de me pencher très bientôt sur les écrits du philosophe dont le titre du livre La Conscience malheureuse m’intrigue et d’aller vers ses textes critiques. En cela (et pour bien d’autres raisons) l’intention de Kraemer de « servir Fondane » est bel et bien une superbe réussite.

  • Le Fantôme de Benjamin Fondane du 7 au 12 octobre, Nanterre (La Forge) du 6 novembre au 7 décembre Théâtre de la Vieille Grille, Paris 5° 1 rue du puits de l’Ermite 75005 Paris. Réservation 01.47.07.22.11 et/ou 06.77.82.80.75.

Bibliographie sélective de Jacques Kraemer :

  • La fille infortunée de Diderot suivi de Thomas B. (Tituli, 2014)
  • Trois nuits chez Meyerhold suivi de Cage – (Tituli, 2013)
  • Kassandra Fukushima suivi de Prométhée 2071 (L’Harmatan, 2012)
  • Le site de La compagnie Jacques Kraemer (pour découvrir la présentation de toutes les pièces)
  • Le site des éditions Tituli
  • La Vieille grille théâtre (Paris)et présentation du Fantôme de Benjamin Fondane