Hexes, deuxième roman de l’écrivaine polonaise Agnieszka Szpila, traduit par Cécile Bocianowski, s’affirme comme une œuvre d’une radicalité essentielle. Détonnant mélange de satire sociale, de féminisme viscéral et de critique écologique, ce livre nous entraîne dans un univers où le passé et le présent s’entrelacent pour donner naissance à une fable déstabilisante. L’autrice nous fait découvrir l’histoire d’Anna Szajbel, une femme puissante et déchue dont l’histoire de vie conduit à une réflexion brutale et poétique sur les ravages du patriarcat et la force transformatrice de la colère.
Anna Szajbel, PDG d’un groupe pétrolier national, incarne la modernité froide et aliénée. Féministe en apparence, elle s’est pourtant soumise aux codes d’un pouvoir masculin qu’elle méprise autant qu’elle reproduit. Cette figure de femme forte est pourtant mise à nu et devient la marionnette d’un spectacle, celui de sa propre chute. Surprise en train de faire l’amour avec un arbre, Anna devient la cible d’un scandale public. L’humiliation est totale : « Tu ne te retrouves pas à la tête d’un grand groupe pétrolier en ayant entre les jambes un petit animal duveteux. […] Il faut un aigle entre les cuisses. »
Par cette scène absurde et provocante, le texte dévoile les tensions qui habitent Anna : d’un côté, une vie de privilèges bâtie sur l’exploitation ; de l’autre, une aliénation intérieure où colère et désir de rupture se mêlent. Ce scandale agit comme un point de bascule : déchue de son poste, Anna est propulsée dans un voyage initiatique qui transcende les frontières du temps et de l’espace.
Le duché de Neisse : à la rencontre des Terreuses
Mystérieusement téléportée au XVIIᵉ siècle, dans le duché de Neisse, en Allemagne, Anna découvre une région dominée par des évêques catholiques radicaux. Ce voyage temporel est ainsi l’occasion pour la narration d’explorer les racines historiques de la domination patriarcale et religieuse. La protagoniste y rencontre une communauté marginalisée, les Terreuses, des femmes ayant choisi de vivre en harmonie avec la nature, loin des règles imposées par l’Église et la société. Ces femmes, figures de rébellion et de résilience, incarnent un féminisme radical et une spiritualité libérée des dogmes. Leur existence est décrite avec une poésie sauvage : « Elles vivent dans la forêt, vénèrent la Vieille Pucelle et font l’amour à la Terre-Mère. » Et pour Anna, qui a passé sa vie à exploiter les ressources de la planète sans remords, la rencontre avec les Terreuses est un choc. Elles lui offrent une autre vision du monde, où le corps et la nature sont sacrés : « Faire l’amour à la Terre, c’est redevenir une partie d’elle, c’est réparer ce qui a été brisé. »
La guerre pour la forêt : une rébellion spirituelle
Le mode de vie des Terreuses est bientôt menacé par l’Église, qui ordonne la destruction de la forêt pour imposer son autorité. De fait, ce conflit devient une métaphore poignante des luttes contemporaines : entre exploitation industrielle et préservation écologique, entre patriarcat oppressif et résistance féminine. Pourtant, les Terreuses refusent de se soumettre. Leur rébellion est portée par une colère viscérale, que la narration dépeint comme une force motrice et libératrice : « Cette rage que nous portons est la lumière de notre chemin dans l’obscurité. »
La guerre culmine dans un acte de sacrifice ultime. Acculées, les Terreuses choisissent de mourir ensemble dans un feu purific...