Dans son dernier roman, Antoine Wauters explore le poids du silence héréditaire au sein d’une famille par le prisme de l’histoire de Josef, un orphelin qui fuit – autant qu’il court après – une folie qui s’avère peut-être son seul héritage.

Le livre s’ouvre sur un narrateur qui se présente comme « celui qui s’apprête à briser le silence ». On devine le lot de traumatismes familiaux et on souffle. On soupire, peut-être, à l’idée de lire encore une enquête familiale, encore des fragments épars qui finiront par reconstituer la grande image, et engendrer une grande libération. Puis on tourne la page et on se rappelle qu’on lit Antoine Wauters, et que l’auteur de Mahmoud ou la montée des eaux (Verdier, 2021), entre autres, est un conteur hors pair. 

Un conte noir

C’est par les flammes que l’on est introduit à la Haute-Folie, la ferme de Gaspard et Blanche. Le jour où leur propriété prend feu, où les récoltes et les animaux flambent, où ils perdent tout, est aussi le jour où Blanche accouche de son premier enfant. Josef sera pour toujours « ce garçon du malheur », sa venue sur terre se confondant avec le drame. C’est comme si quelqu’un s’était penché sur le berceau et avait décidé que tout ne pouvait pas être si beau. Que pour expier, il faudrait une malédiction à traîner le long des sentiers, de génération en génération. 

Cette malédiction est scellée par un pacte quasi-faustien. Gaspard travaille dur pour gagner de quoi remettre sur pied la Haute-Folie, mais lorsque ce diable de Jünger lui propose d’acheter ses bêtes, c’est le sacrifice de trop. « Une idée folle. Pour rien au monde Gaspard ne se déferait de ses bêtes, auxquelles il doit sa vie et celle de sa famille. Pour rien au monde. » La déchéance de Gaspard a des allures de conte tragique et cruel, dans son foisonnement d’images, dans la chute qui se précipite, dans la peinture concise des protagonistes. Les paroles sont déjà rares : il y a seulement l’inquiétude de Blanche, la détermination de son mari, la proposition fatidique de Jünger. Ainsi, sur la table des négociations – un tonneau plein de poussière – Jünger trace « un chiffre à plusieurs zéros » et « Gaspard reste sans voix ». L’alcool aidant, il accepte. C’est sans doute à ce moment précis que le silence s’installe. Quand on trahit ce que l’on est et ce en quoi on croit.

D’homme en homme

C’est Léo, le frère de Gaspard, et Anna, sa femme, qui recueilleront Josef devenu orphelin après le suicide de ses deux parents. Sur eux, on ne lui dira rien, pas la vérité en tout cas. « À la ferme de Douve, il n’y a rien au mur du souvenir. Les morts ? On n’en parle pas. Blanche et Gaspard ? La maladie les a emportés. D’autres questions ? Pas d’autres questions. » Josef ne peut pas comprendre le comportement de Léo, qui se tue à la tâche, se mure dans le silence, s’isole. Il part marcher, souvent et longtemps, et Josef ne sait pas encore que ce qui poursuit Léo, c’est l’image de Gaspard qu’il a retrouvé pendu.