Épisode 2 : daddy issues

Quatre jours aux Rencontres d’Arles, sous 35 degrés. Festival, Foire, et marathon. Après une édition 2024 aux revendications plus tièdes, celle de 2025, titrée « Images indociles », se veut plus resserrée, plus « engagée ». Mais que peut une image, dans le monde d’aujourd’hui, dystopique et saturé de représentations ? Tentative d’une sélection.

Dehors, il fait plus frais. La nuit tombe, heureusement avant toute possible overdose.

Entre la Croisière – halle ouverte, façon jardin mexicain et Print, lieu d’expo et de vie dans une piscine vide, il y a des soirées faites de techno et de funk brésilien. Des pool parties qui s’éternisent. Les restaurateurs se font plaisir sur les tarifs, mais le pastis reste une valeur démocratique. Entre les patrons de presse en chemise blanche et des arlésiennes en grande tenue, il y a de vrais artistes qui galèrent et qui réseautent parce qu’il le faut. Des œuvres qui patientent dans les tiroirs, et du travail qui n’a pas payé encore – car hors commande. Les nuits sont courtes, le matin claque toujours la bise un peu trop fort.  

D’ailleurs des cloches sonnent, on se marie sur la grande place : le couple arrive en Taco&Co, tuk tuk officiel des rencontres, devant le parvis de l’église. Ça tombe bien, aujourd’hui, le thème c’est famille, ou plutôt son « chef » dans le code napoléon : le père. Pas moins de trois expositions lui sont consacrées. 

À sa gloire

 Au Ground Control, entrepôt aux abords de la gare, Camille Lévêque consigne dix années de recherche. Travail de plasticienne autant que d’archiviste, À la recherche du Père, cumule clichés et objets, œuvres retravaillées et mises en regard pour dresser les différentes combinaisons paternelles, le poids du chef de famille jusque dans l’imaginaire érotique. Une culotte Yes Daddy côtoie un portrait de Lénine déchiré ou la reproduction d’une peinture de saint, bon père s’il en est. S’y mêlent également les récits d’homme, à la fois père et fils et des clichés de famille où le visage du pater familias a disparu. Les images, sans jugement, disent l’attendrissement ou l’ironie, l’absence du patriarche, où les objets à sa gloire. C’est rafraichissant comme un thé glacé.   

Camille Lévêque, entre ironie et érotisme, interroge, entre autre, la notion de Daddy Issues.

Camille Lévêque.Glitch, 2014.
Avec l’aimable autorisation de l’artiste.

La vraie claque vient avec Chambre 207 de Jean-Michel André (la Croisière) et Father de Diana Markosian (espace Monoprix).

Jean-Michel André.Chambre 207, hôtel Sofitel [L’hôtel Sofitel d’Avignon a changé de nom depuis 1983, mais son adresse reste identique. Les chambres se trouvent aux mêmes emplacements qu’à l’époque et la façade n’a pas été modifiée.] d’Avignon, 2023.
Avec l’aimable autorisation de l’Institut pour la photographie / Galerie Sit Down.

Dans un espace d’un seul tenant, le premier déploie une véritable narration photographique à partir d’un fait réel. En 1987, sur la route des vacances, dans la région d’Arles, son père ainsi que six autres personnes sont tués dans une tentative de hold-up qui tourne mal. Dormant dans une chambre attenante, le photographe, alors âgé de 7 ans, perd la mémoire de ces évènements. Trente ans plus tard, il les reconstitue, photographiant les procès-verbaux et les mails échangés avec d’autres survivants, mais aussi les lieux qu’il a pu traverser avec son père. Sur ces traces il se rend en Corse, là où auraient dû aboutir ces vacances, en Allemagne, où travaillait son père, au Sénégal, où ses parents l’ont élevé. Les clichés se tiennent, racontent la disparition et la quête. Leurs sobriétés sans pathos touchent au but : les draps retournés de la chambre d’hôtel, une plage du Sénégal, la montre du disparu interrogent le partage de l’intime. L’émotion parvient voilée, cristallisée dans les deux paysages abstraits en fond de salle, chacun coupé en deux dans la composition, comme un « et si » graphique : « Et si ça n’était pas arrivé ? ».  

Mais le père se retrouve aus...