Après Où vont les larmes quand elles sèchent, le médecin et auteur Baptiste Beaulieu revient en 2024 avec un livre au titre tout aussi long et à la charge émotionnelle tout aussi forte : Tous les silences ne font pas le même bruit. Ce texte inclassable oscille entre autobiographie, essai politique pour les droits LGBT+, et expérience philosophique où le « tu » se substitue au « je ». Cela donne l’impression qu’il a été conçu comme cadeau à « l’oncle relou » des repas interminables de fêtes de fin d’année. Mais le résultat, tantôt émouvant, tantôt artificiel, montre comment Beaulieu n’arrive pas à choisir entre nous engueuler un bon coup et nous convaincre avec douceur.
Baptiste Beaulieu n’a pas de chance. J’ai lu son livre, Tous les silences ne font pas le même bruit, juste après avoir dévoré Confessions d’un masque de Yukio Mishima. Le rapport ? Les deux livres ont beaucoup de points communs : deux hommes, certes séparés par 75 ans, qui racontent la découverte de leur homosexualité dans un récit autobiographique qui aborde les sujets de la honte, de la normalité et du vernis social, entre autres. Malheureusement, face au récit virtuose de celui qui deviendra un monument de la littérature japonaise, l’écriture maladroite de Beaulieu ne fait pas le poids.
Ce n’est pas forcément ce qu’il cherchait à faire en premier lieu, entendons-nous. Son livreest fondamentalement différent de celui de Mishima par son objectif politique assumé. Même s’il dit en introduction : « Et c’est la raison pour laquelle tu peux dire que ce livre n’a pas de thèse. Tu ne défends rien. À la rigueur, tu exposes. », il est évident que Beaulieu veut faire changer les mentalités. Il souhaite déconstruire les préjugés pour mieux reconstruire l’empathie de son lecteur envers les personnes LGBT+. Tout le texte est donc écrit à la deuxième personne du singulier, un procédé parfois artificiel et lourd, mais qui nous incite à vivre la vie de Beaulieu à sa place. Devenir, le temps d’une lecture, un homme homosexuel.
“Tu” n’est pas un autre
Ce procédé est parfois artificiel car l’écriture de Beaulieu a du mal à rester cohérente. Il alterne des moments de narration intime, où le tutoiement marche plutôt bien : j’ai même lâché une petite larme quand il parle de son désir de devenir père. Mais chaque passage autobiographique est suivi de discours généraux et politiques au champ lexical militant qui rendent l’usage du « tu » très perturbant, comme par exemple, ici : “Cependant, en tant qu’homme gay médiatisé, tu sais ô combien ton sort est lié à celui de tes soeurs lesbiennes. Voilà pourquoi tu décides de prendre la parole aujourd’hui et d’utiliser ta notoriété pour dénoncer l’hypocrisie qui entoure encore les réticences autour de la PMA.” À cause de cette langue mi-internet mi-militante, j’ai eu à certains moments l’impression de relire en format concentré, au mieux, les articles que je lisais dans Madmoizelle il y a une dizaine d’années pour me former aux luttes contre les inégalités, au pire, des carrousels Instagram mal ficelés.
Si j’ai l’impression d’avoir déjà lu ce livre quelque part, j’en arrive à la conclusion qu’il n’est donc pas forcément mauvais, mais juste pas pour moi. Alors se pose la question suivante : à qui s’adresse ce livre ? Je me trouve bien présomptueuse quand je dis qu’il ne s’adresse pas à moi là où je suis une femme hétéro et cisgenre, loin d’être irréprochable. Combien de microagressions ai-je pu dire sans m’en rendre compte ? Combien de choses ai-je laissé passer pour la paix des familles, la paix des amis, la paix de l’open-space ? Finalement je ne suis pas tout le temps allée au front, un peu par pessimisme : ma parole n’aurait pas assez de force et de clarté contre une parole homophobe ou transphobe.
https://zone-critique.com/boutique/amsterdam
Cette honte de ne pas avoir su se défendre ou n’avoir pas su défendre les autres ponctue le livre de Beaulieu dans des passages qui ne trouvent pas de so...