Trois soûlards, deux potes ratés, un esthète maudit. Dans Météors et Le città di pianura comme dans Un poeta, présentés à Cannes dans la section Un Certain Regard, les personnages semblent avoir la poisse. Déterminisme social, suite de (très) mauvais choix, véritable malédiction ? Les trois films, à leur manière, dressent un portrait drôle et touchant de la dèche : à croire que la poésie a moins la tête dans les étoiles que les pieds sur terre, dans la boue.
Au cinéma, la voiture est par excellence le lieu de décantation des personnages : un coup de volant révèle un caractère, et le couinement d’une vitre un état d’âme. Les films d’Hubert Charuel, Francesco Sossai et Simón Mesa Soto n’y manquent pas en plaçant leurs personnages au sein du cockpit, nous laissant juger leurs usages et donc leur nature profonde. Pour l’hilarant et pathétique poète du film de Simón Mesa Soto, la voiture est un refuge où hurler, pleurer et diluer son eau avec de la liqueur après avoir été forcé d’accepter un poste au lycée, ce qui l’empêche de méditer sur son art (comprendre : se morfondre toute la journée dans l’appartement de sa mère). Plus alcoolisés mais aussi bien plus heureux, les deux vieux loubards de Le città di pianura nous apparaissent immédiatement dans toute leur splendeur : voiture arrêtée devant un feu rouge, la tête dans le guidon, complètement endormis. En attendant de retrouver leur troisième acolyte, la route et la nuit s’étendent sur des chemins réjouissants et sinueux, allant de bar en bar pour un “dernier verre” qui ne vient jamais. Dans Météors en revanche, la voiture file vite et sans détours. À son bord, Dan, Mika et un magnifique Main Coon orange qu’ils viennent de voler. Poursuivi par le propriétaire — le chat est un chat de concours hautement gradé — le duo panique et se dispute, Mika reprochant à Dan son geste inconscient, sans pour autant rompre. On le comprend immédiatement : entre ces deux-là, c’est du juré, craché.
“Plutôt que de tomber dans le plaintif, les trois réalisateurs utilisent cette lose qui colle à la peau comme matière à comédie.”
Fare un giro
Mais ce n’est pas l’amour des routes et des capots qui unit ces trois longs-métrages : c’est le désœuvrement. À des niveaux différents, les personnages sèchent et tournent en rond. Le poète n’a rien écrit depuis vingt-cinq ans et sa vie est un désastre. Les vieux amis de Le città di pianura n’ont jamais pu retrouver de travail depuis la crise de 2008 et s’accrochent à leur carnet de bonnes adresses peu à peu remplacées, bâtiment écroulé et chaises abandonnées sur la terrasse. Mais la jeunesse ne s’en sort pas mieux : Dan et Mika se retrouvent sans permis, presque sans travail mais avec un alcoolisme diagnostiqué et une cirrhose du foie. L’horizon est bien sombre, et il n’y a rien à faire. Alors les personnages se promènent, mènent l’enquête sur une carpe volée, s’entichent de la relation amoureuse de jeunes croisés dans un bar (encore un), gueulent dans la rue des poèmes colombiens, boivent, s’intoxiquent et reboivent. C’est là que la magie s’opère. Plutôt que de tomber dans le plaintif, les trois réalisateurs utilisent cette lose qui colle à la peau comme matière...