Des amours, il ne reste que les souvenirs – les nôtres et ceux des autres. Mais le temps passe et certains s’effacent. Cœur à mémoire de forme, la réalisatrice Chloé Barreau nous emmène en voyage et revisite les siens comme ceux des amant·es ayant partagé sa vie. Empreinte de douce nostalgie, cette épopée documentaire se déguste comme un millefeuille amoureux et irradie par sa justesse et sa sincérité. Si bien que l’on se laisse aisément séduire par le charme du fragment, passant du célèbre discours de Roland Barthes au parcours initiatique de Chloé Barreau. 

« Je ne sais pas si j’ai envie d’aimer ou si j’ai envie qu’on m’aime ». Avec cette phrase d’ouverture, une Chloé adolescente au regard encore insouciant ouvre le bal de témoignages fleuves qui s’entremêlent plus d’une heure durant, alternant archives qu’elle a elle-même saisies ces trente dernières années et entretiens menés au passé composé. La Chloé d’aujourd’hui, on ne la voit pas, on ne l’entend pas, silencieuse derrière la caméra. Elle délègue la conduite des interviews – lui préférant le procédé-tampon – s’efface du cadre classique pour fluidifier les confidences qui ne se font plus sur l’oreiller. Mais elle visionne et monte ces fragments comme on plonge en introspection. Dès lors, elle n’est plus seulement scénariste et réalisatrice. Mais essayiste amoureuse – tant elle essaye, rate, recommence et rempile à chaque fois, sans jamais se lasser de ce que l’amour offre à toustes celleux qui veulent bien s’y frotter. Archiviste, archéologue, peintre et chorégraphe des sentiments, elle mélange habilement les pigments de sa palette affective et se fait impressionniste d’une génération X, avec toutes les nuances que l’amour revêt. Le champ, ce sont ses images analogiques, modelant déjà son geste cinématographique dans l’immédiateté. Le contrechamp, ce sont les mots qui, rétroactivement, viennent s’y apposer.

“Dans le singulier de Chloé, on relit nos histoires plurielles et l’universel se dessine en hors-champ.”

Depuis ses seize ans, alors étudiante au lycée Henri IV, Chloé Barreau documente ses coups comme ses peines de cœur à la caméra Super 8, saisissant l’instant dans la fugacité du sentiment amoureux. Comme si, tout en vivant une histoire, elle en fabriquait déjà le souvenir – filmant le présent qui sera bientôt le passé et dont elle se souviendra au futur. Dans une pulsion scopique lacanienne, elle passe au crible les amours partagées, celles à sens unique, inconditionnelles, éphémères, expérimentales, de jeunesse, inachevées, celles auxquelles se mêlent les parfums d’interdit. Les premières fois aussi, lorsque les mains s’effleurent, les langues se cherchent et les corps se découvrent. Les frontières se brouillent alors : entre ami·es et amant·es, affection et sentiment amoureux se confondent, les émotions s’affranchissent des questions de genre, le trouble se tisse et les subjectivités se mêlent. Qu’il est merveilleux de débuter une nouvelle histoire, de se laisser aller à l’euphorie des balbutiements infusés d’un puissant cocktail d’adrénaline et de sérotonine. On est d’abord amoureux·ses, puis on aime et finalement on se quitte. Mais sait-on finir les histoires d’amour ? Partir sans ébranler ? Se relever et pardonner ? Une chose est sûre, on ne...