Nosinsomnies est un premier roman qui prend méticuleusement son temps, et c’est efficace. Avec une redoutable maîtrise, Clothilde Salelles met en œuvre sa stratégie dilatoire avant de nous dire à demi-mot, et dans les interstices de son roman, l’irruption du « drame » dans une famille qui n’était apparemment pas prédisposée à la catastrophe. Le point de vue est celui de la petite fille, avec une médiation adulte, rétrospective. 

Clothilde Sallelles, Nos insomnies

On ne trouve jusqu’à la centième page qu’un temps itératif ou duratif, pas d’événements singuliers. Si l’on poursuit la lecture, c’est que l’ombre au tableau est brossée dès le début, et qu’elle s’accentue lentement pendant que l’on reste à l’arrière-plan, que l’on s’impatiente. Sans être descriptif, il me semble que ce roman parvient à préparer le terrain du drame presque plus longuement que ne le ferait Balzac, car Clothilde Salelles sait que pour le suspense, il ne faut pas aller trop vite en besogne. 

Pendant ce temps, Nos insomnies nous suggère avec insistance qu’il y a quelque chose de sinistre derrière cette vie familiale et son lot d’expressions galvaudées, mal articulées qui ne cessent de revenir, retranscrites en italique et d’un seul tenant par la romancière. Tout en décrivant un quotidien sans histoire la narratrice instaure un malaise et une distance envers le père, figure suspecte. Les autres membres de la famille sont à peine esquissés, ils existent tout juste. 

Sans être descriptif, il semble que ce roman parvient à préparer le terrain du drame presque plus longuement que ne le ferait Balzac.

Le symptôme de ce malaise est dans le titre du roman, qui fait signe vers un problème général, mais que Clothilde Salelles traite particulièrement : l’insomnie. Quant à sa cause, il s’agit peut-être de cette insidieuse inquiétude du père pour la construction d’un lotissement attenant à sa maison – ce mitage du rural par le périurbain est certes regrettable, mais tellement banal. Bien sûr, on ne peut pas se contenter d’une telle justification : on cherche à trouver mieux, plus loin dans le roman. Mais, nous y reviendrons, la force corrosive du tracas trivial fait partie de ce qu’explore Clothilde Salleles.

La banlieue pavillonnaire, un cadre sinistre ? 

Pourtant, il faut rappeler que le cadre de ce roman, celui de la maison individuelle en banlieue ...