Le roman de Sandrine Collette, intitulé Des noeuds d’acier a obtenu le grand prix de littérature policière 2013. Cette fiction nous plonge dans la douleur de l’emprisonnement.
Théo a résisté à la prison. Dix-neuf mois de ruse pour éviter les coups les plus durs. Parfois, il valait mieux se faire arrêter par les matons plutôt que de faire face à certains détenus. Les barreaux ne l’avaient pas brisé. Au contraire, ces lieux avaient révélé en lui une violence insoupçonnable. Cet instinct de survie à toute épreuve. Théo, âgé de 40 ans, avait écopé de cette peine après avoir frappé son frère Max, ce qui le paralysa. Ce dernier avait couché avec Lil, la femme de Théo.
A sa sortie de prison, le mari trompé rendit visite à son frère, ce qu’il lui était strictement interdit. S’en suit une nouvelle cavale. Il s’exila dans les montagnes, où une vieille dame l’accueillit. Au détour d’une balade, Théo rencontra deux vieux bergers. Mais c’était sans savoir qu’ils allaient le séquestrer. Le roman raconte ensuite les souffrances de cette seconde détention. Une atrocité à laquelle ne peut correspondre la prison.
Au fil des mois, on découvre l’asservissement progressif de l’homme sous les coups de ses bourreaux. Dès les premiers jours, c’est une volonté de libération qui guide l’esprit du détenu. Il échafaude des centaines de plans pour sortir au plus vite de la cave humide dans laquelle Basile et Joshua, deux frères, l’ont enfermé. “Un objectif me court dans la tête: me tirer d’ici. ” “Tout mon être tend vers une idée fixe: garder des forces et m’enfuir.”
La liberté demeure l’obsession de l’homme qui vient d’être emprisonné. Chez Théo, l’espoir peut s’illuminer du sentiment amoureux. Retrouver Lil, sa femme, qui ne l’a pas vu après tout ces mois de prison. Mais la réalité de la douleur rattrape vite la rêverie. L’otage des “deux vieux” raconte ces blessures qui le touchent au plus profond de sa chair. Les plaies ouvertes suintent pendant des nuits. Ses chaussettes recouvrent “une peau brûlée par le frottements des bracelets de métal.” Quand il mange à sa faim, la soif, souffrance tenace, le ronge de l’intérieur.
“J’ai à nouveau soif. A cause du lard. Ils l’ont peut-être fait exprès.” Comme dans toute prison, Théo possède un compagnon de détention. Il s’appelle Luc et est retenu dans cette cave depuis 8 ans. Sa résignation va mettre fin aux espoirs de Théo. Il oublie lentement l’idée d’évasion.
Le désir de survie prend le dessus. Les deux vieux n’ont plus l’image de bourreaux mais de maîtres qu’il faut craindre. Les esclaves estiment leurs mains nourricières. Ils passent leurs journées aux travaux forcés: couper des arbres, scier des bûches, bêcher la terre, planter des centaines de légumes. Le travail devient la seule activité qui les maintienne en vie. L’angoisse “d’être foutu” pour les travaux surgit dans les esprits. Leurs maîtres pourraient les tuer comme on abat une bête malade.
Ce roman montre la condition d’animal auxquelles sont relégués Théo et Luc. Les deux vieux les appellent “les chiens”
Ce roman montre la condition d’animal auxquelles sont relégués Théo et Luc. Les deux vieux les appellent “les chiens”. Le motif canin revient souvent dans l’intrigue. Dès le début de sa cavale, Théo rencontre un rottweiler qui lui ressemble car ils ont tous les deux des yeux vairons (bicolores). L’animalité des détenus saisit le lecteur à travers les scènes de nourriture. On y voit Théo, à même le carrelage, qui scrute la table de ses maîtres. Il attend que ces derniers lui jettent un morceau de poulet ou de pain rassis. Les bourreaux utilisent leurs prisonniers pour remplacer le cheval de traie durant les travaux des champs.
Cette animalité se traduit aussi dans les relations entre les individus. De simples mugissements se substituent à la parole. “Il y a des jours où les et merde de Luc sont les seuls mots que j’entende.” L’esprit se vide de toute pensée. “Souvent je ne pense à rien. Parce que l’épuisement me ronge. Et aussi parce qu’il n’y a plus rien à penser.” Dans ce calvaire, l’animal détenu s’accroche au seul signe d’humanité qui lui reste: la conscience du temps. A chaque jour qui s’écoule, il écrit un bâton sur le mur de sa prison.
A travers ce fait-divers inventé, la romancière dépeint la douleur humaine avec précision et profondeur. Un livre dont on ne sort pas indemne.
- Des nœuds d’acier, de Sandrine Collette,Editions Denoël, 272 pages, 17 janvier 2013, Grand prix de littérature policière 2013