« Une poétesse sans langue maternelle. » C’est ainsi qu’est souvent qualifiée Etel Adnan, née d’un père syrien-ottoman et d’une mère grecque, éduquée en langue française et ayant grandi dans un environnement arabe à Beyrouth, installée à Paris, puis aux Etats-Unis. L’anthologie, Je suis un volcan criblé de météores, publiée chez Gallimard propose une vue d’ensemble de son oeuvre poétique.
Poétesse sans langue maternelle ? Plutôt poétesse aux langues maternelles multiples. Si la poésie d’Etel Adnan est caractérisée par cette diversité culturelle qu’elle a su faire sienne, écrivant tantôt en français, tantôt en anglais, elle est également une porte gardée ouverte sur le monde et ses soubresauts, à l’écoute des palpitations intimes de l’être, et du rythme irrégulier d’une humanité en crise.
Des poèmes marqués par l’Histoire et la guerre
Dans son premier recueil La Mer (1948), Etel Adnan fait dialoguer en un chant presque mythologique la mer et le soleil, associés aux deux pôles de l’humanité, l’un féminin, l’autre masculin. Nécessaires l’un à l’autre, soleil et mer se répondent, se rencontrent, s’aiment, se haïssent :
“La mer brûle, en elle l’été s’est avancé. Le soleil entre dans ses yeux et lui raconte son essence et son histoire.”
Elle n’hésite pas à employer un ton cynique, parfois presque distant, pour mieux pointer du doigt un monde dans lequel elle ne se reconnaît pas.
La poésie d’Adnan, bien que parcourue par une profonde fascination pour le monde, ses éléments, son “visage”, témoigne également d’une forte conscience historique ainsi que d’une présence satirique de la mort, de l’idée de domination. Dans son long poème L’Express Beyrouth, Enfer (1970), Adnan évoque sa terre natale, impossible à habiter, devenue tombeau à ciel ouvert : “L’humanité va au cimetière en grands soubresauts”. La force poétique de ses évocations de la violence réside dans la singularité et la cruauté des images auxquelles a recours Etel Adnan. Elle n’hésite pas à employer un ton cynique, parfois presque distant, pour mieux pointer du doigt un monde dans lequel elle ne se reconnaît pas. Les visages deviennent des morts, les morts, de simples clous, les clous, des fantômes anonymes :
“20 000 morts à Amman / 20 000 clous brillant autour de la tête du Roi / 20 000 fantômes poids lourds”
L’Express Beyrouth, Enfer
Le désenchantement et le spectacle du chaos, bien que profondément douloureux, ne sont cependant pas sources d’un désespoir infaillible, car les différents cycles poétiques d’Adnan demeurent teintés d’une espérance et d’une foi sincère en l’Homme.
“La libération comme un printemps toujours / sous terre / pousse on dirait des mains ouvertes / à ras du sol / il n’y a pas d’herbe sur cette terre.”
L’Express Beyrouth, Enfer
De l’amour et de la mort
Etel Adnan fut également une grande diseuse de l’amour, se saisissant à plusieurs reprises de la plume pour nommer ses désirs, ses passions. Amour pour un parent, pour une femme, pour tout un peuple, chacun des poèmes d’Adnan conserve la trace d’un véritable attrait pour ce thème de l’amour. Les recueils Le Livre de la Mort (1949) et Cinq sens pour une mort (1971), bien que rédigés à vingt ans d’écart l’un de l’autre, portent la cicatrice des amours défuntes, ou plutôt de l’être aimé perdu. Le deuil se mêle à la passion amoureuse, et confèrent à ces textes une gravité saisissante, une tonalité très solennelle.
« Je dis la mort au cœur de la vie / la lune fondue au cœur du soleil / ta vie, étoile morte au centre / de mon cœur », Le Livre de la Mort
Etel Adnan, au fil de son écriture, a employé diverses formes poétiques, contribuant à la grande variété de ses poèmes, faisant usage des versets, de la prose, du vers libre, de la poésie typographique, explorant les possibilités visuelles de la page, éclatant son poème sur la feuille blanche en mots épars pour mieux évoquer la douleur, la violence ; regroupant ses mots en petits paragraphes allusifs pour dire l’amour, le désir timide.
“Un jour le soleil brilla / dans ses cheveux / et la forêt prit feu” Poèmes d’amour
La poésie d’Etel Adnan est infiniment touchante dans le souci qu’elle a des Hommes en général, de l’amour en particulier, et semble pouvoir être définie par cette « obsession pour l’univers » qu’éprouvait Adnan, et qu’illustre à sa manière chacun de ses poèmes.
- Etel Adnan, Je suis un volcan criblé de météores, Poésies 1947-1997, éd. Gallimard poésie, 2023, Paris