À l’occasion de la parution de La Ballade des garçons-poussière, Jean Ciantar revient sur la genèse de son roman, ses sources d’inspiration, et la portée symbolique d’un récit empreint de douleur, d’animalité et de poésie.

Velimir Mladenović :D’où vous est venue l’inspiration pour le personnage de Yacob Piro, figure ambivalente oscillant entre douceur, isolement et violence?
Jean Ciantar : Je ne sais jamais où je vais lorsque je commence l’écriture. Je n’ai aucun plan. Le cadre et les personnages viennent à leur rythme. J’en suis quasiment exclu. Je me souviens en revanche de la lecture des Racines du ciel, de Romain Gary, et de son héros : Morel. De sa détermination, de cette forme d’héroïsme dénuée d’affèterie. Le personnage de Yacob s’est imposé dès le départ, tout comme sa ligne de conduite ; son ambivalence parfois. Il est avant tout un corps, un physique sans visage et toujours en mouvement.
Velimir Mladenović :Pourquoi avoir choisi d’aborder frontalement les violences homophobes ainsi que la question de la survie psychique après un traumatisme, à travers une écriture aussi directe et sans concession ?
Jean Ciantar : J’ai grandi dans les années 90, dans une petite ville que personne ne pourrait placer sur une carte. La question des violences homophobes a été consécutive dans ma découverte de la sexualité. Certains pensaient encore que le cancer gay pouvait se transmettre par la salive ou par un simple contact de la peau. Adolescent, il me fallait vivre caché. La violence pouvait venir autant des adultes que des plus jeunes. Il fallait soit apprendre à se blinder, soit endurer les moqueries et les passages à tabac. C’était une réalité pour tout provincial et ce n’est que bien plus tard que j’ai compris que la même violence s’exerçait dans les grandes villes. Aussi l’écriture se devait de refléter ce rapport différent au monde ; où chacun peut devenir une source de danger potentiel ; où la haine peut soudain remplacer un sourire.
Velimir Mladenović :Le lien entre Yacob et la chienne Thérésa occupe une place centrale dans le récit. Quelle est, selon vous, la fonction de ce duo dans la structure et la portée symbolique du roman ?
Jean Ciantar : Les animaux ont toujours tenu une place importante dans ma vie. Dans le cas de La Ballade des garçons-poussière, j’y vois surtout la seule relation du livre basée sur un amour pur et désintéressé. En plus d’être traitée comme un personnage à part entière, Thérésa représente un soutien sans faille quand l’existence se fait brutale et sombre. De plus, la question de notre rapport à l’animalité est un des fils rouges du roman – flirtant parfois avec le mystique. Dans sa fuite, Yacob devient (en miroir) l’un de ces animaux obligés lui aussi d’abandonner son territoire. Jusque-là, beaucoup de lecteurs me parlent de Thérésa, et souvent leurs yeux s’illuminent. C’est très touchant.
Velimir Mladenović :Le roman semble naviguer entre plusieurs registres, du western contemporain au roman noir. Quels auteurs ou univers artistiques ont nourri cette hybridité de tons et d’ambiances ?
Jean Ciantar : C’est assez drôle que vous parliez de roman noir : ce genre de littérature ne fait pas partie de mes lectures. Pourtant, il y a bel et bien des éléments...