Jon Fosse ne souhaitait plus écrire pour le théâtre après sa dernière pièce, Ylaljali en 2012. Mais près de dix ans plus tard, en 2021, le dramaturge propose une nouvelle pièce : Vent fort, qu’il présente comme un poème scénique. Tout en conservant son écriture épurée, il revient au théâtre avec une force nouvelle, « je n’avais jamais écrit comme ça » confie-t-il à Gabriel Dufay dans un recueil d’entretiens Écrire, c’est écouter. C’est grâce à ces mots que le metteur en scène Gabriel Dufay a su donner corps à ce texte poétique. 

Une pièce d’amour

La scène se présente comme un grand vide noir d’où émane le souffle du vent. Une silhouette s’avance doucement vers les spectateurs avant de leur partager quelques mots sur l’amour. Puis cette dernière accompagne la musique du vent par un chant aux résonances rock. La voix d’Alessandra Domenici nous accompagnera ainsi jusqu’à la fin de la pièce pour ne pas nous faire oublier ce message. Car l’amour est ici sujet qui régit les protagonistes en un triangle amoureux. Le spectacle nous interroge sur l’acceptation de la fin d’une passion ; le vent fort comme celui qui nous ramène inlassablement vers l’être aimé. L’Homme (Thomas Landbo) est de retour chez lui après une longue absence. Il vient retrouver La Femme (Léonore Zurflüh), mais voilà que pendant son absence elle a emménagé dans un nouvel appartement avec Le Jeune Homme (Yuriy Zavalnyouk). Le scénario pourrait être celui d’une comédie, le rire est au rendez-vous, jusqu’à jouer du cliché de l’amant qui sort de l’armoire. Cependant, dès le départ, la mise en scène nous place à l’endroit du rêve et questionne le spectateur : ne serions-nous pas en fait en plein cauchemar ?

Un cauchemar

Après le chant et avant le texte, les corps de La Femme et du Jeune Homme se relèvent de terre et se mettent à danser. Leurs souffles guident leurs corps qui se retrouvent, leur danse est organique et rend leur passion concrète. L’atmosphère du rêve est explicitement mise en scène grâce à la scénographie de Margaux Nessi. Les deux amoureux dansent sur des nuages, le sol brille comme un mirage. L’espace de jeu est délimité par un rectangle blanc au-dessus duquel un écran projette des vidéos, représentant tantôt les plans d’architecte de l’appartement, tantôt la vue de la ville du haut du 14e étage. Créées par Vladimir Vatsev, elles nous plongent dans un raisonnement onirique. Au plateau, un lit, une table et des chaises nous rappellent un environnement quotidien. Les incohérences et les raccourcis du rêve sont présents. Mais celui-ci tourne ensuite au cauchemar lorsque l’Homme, qui tente de séparer La Femme et Le Jeune Homme, semble ne pas être entendu ni vu par eux. Les paroles sont rythmées comme une partition de musique, les corps sont tendus. Puis le charme du rêve se rompt tout à coup lorsque le Jeune Homme s’adresse directement à l’Homme en lui demandant s’il doit partir. Un dialogue pragmatique s’ensuit, celui d’une impossible...