Avec cette excellente traduction de Bijuteria les éditions Extrême Contemporain proposent pour la première fois en français un accès à la voix poétique de Juana Dolores, poétesse de langue catalane. Il s’agit d’une œuvre extrêmement originale, qui se donne comme blason esthétique le Bling Bling et les bijoux en toc. Dans leur éclat se cristallisent la sentimentalité acerbe, les rapports de pouvoir et de désir, les jeux de regard désirants et l’affirmation d’une identité féminine mordante, arrogante, lucide. Entre la confidence et le cri de ralliement, la poésie de Juana Dolores rend inextricables l’intense revendication politique et la profonde intimité de la poésie lyrique.

Bijuteria, Juana Dolores

Entre le cri de ralliement et le soupir : l’éclat de l’intime dans l’agora

Il y a quelque chose d’une âpreté solaire tirée d’une scène d’Évangile dans ce recueil. Comme si entre les versets essaimaient des paroles et des vers qui scintilleraient dans le cruel midi d’un matin biblique. Aussi peut-on deviner les bijoux de la Samaritaine qui se reflètent à la surface du puits, quand elle se penche pour chercher de l’eau. L’on entend presque les pierres jetées par la foule heurter les joyaux de la prostituée, avant que Jésus n’intervienne pour rappeler la fausseté de l’éclat des certitudes morales. L’on sent le frisson de Madeleine, brûlante de peur et d’amour, en sentant contre sa peau les chaînes et les pierreries qui sans doute pendaient à son cou, et à ses oreilles, ce jour ancien où elle vit le miracle d’un ordre qui se défaisait.

D’une certaine façon, y compris parfois par le ton apologique, c’est à partir d’une scène semblable que se déploie la voix poétique de Juana Dolores : dans un éblouissement d’agora ou à la lueur totale résiste chétivement l’ombre à l’intérieur des habits, sur un espace criblé de regards. Dans le bâillement étroit, lyrique et épique, qui sépare le métal brillant de la chair. Dans ce bref écart de soupirs tendus, là où le sentiment s’exhale du corps pour devenir discours et aller se nouer à ses dépens à l’idéologie dominante, pour s’agrafer sur les lambeaux de luttes qui déchirent l’Histoire. Là où le baiser devient phrase, puis cri. Là aussi où le mot personnel résiste, sans candeur, mais sans froideur, avant d’être changé en atteignant l’écoute de l’autre. Entre ce qui s’exhibe pour blesser le désir de ceux qui scrutent, et ce qui se possède dans l’intimité la plus enfouie de la perte. Dans le rutilement du bijou, sur l’écaille miroitante du bling bling : sur ce qui à la fois est tellement à soi que ça en devient une signature, et, pourtant, aussi dans ce qu’irrémédiablement l’on donne de soi, pour que l’envie d’autrui le consomme :

« Historicisé et universel, lo mío [ce qui est mien, Le mien, et le traducteur a raison de le garder tel quel]
joli et dédié, très dédié, ça effraie »

Ou encore :

this is the experience of being
a proletarian whore/ tout ce
qui brille, tout ce qui attire et séduit,/ bâtit ouvrièrement la valeur féminine »

Dans le pan de peau où la valeur d’échange, à force d’être arpentée par le désir et le regard, devient une valeur d’usage : c’est là que sourdent avec férocité et tendresse les vers de Juana Dolores.

C’est ainsi que se fait son écriture. Elle tient du cri militant – si l’on parvient à imaginer que celui-ci, sans être moins anonyme et universel puisse aussi participer de l’expérience la plus intime et vécue d’une subjectivité. Elle tient aussi d’un pluriel secret : celui qu’égrène le chapelet de confessions particulières et privées que crient un par un les différents sujets de la foule enragée qui échafaudent poème à poème l’intérieur de sa voix poétique.

Juana Dolores exige que la valeur de son travail, les éclats de ses bijoux poétiques, soient lus « entre la nudité et la chair, là où, à la fois, l’éclat et ce qui en lui tient du déguisement [émergent] ». C’est aussi là que se ti...