“Après c’est devenu moins grave, une histoire d’amour”. C’est avec cette sublime citation de Marguerite Duras tirée de La vie matérielle qu’Arnaud Cathrine débute son livre. Trois lignes avant les dix nouvelles qui vont tenter d’approcher au plus près la définition de l’amour. Pari réussi.
Contrairement à ce que le titre laisse penser, l’auteur ne fait que parler d’amour dans son livre. Chaque nouvelle est une variation de plus sur le thème avec des personnages différents, des décors différents, des histoires différentes en somme. Il y a par exemple cet homme et cette femme qui se rencontrent grâce à des amis communs. Tout se passe très vite dans leur relation, ils emménagent ensemble, connaissent la passion du début. Mais rapidement ils se rendent compte qu’ils n’appartiennent pas au même monde, que d’être en couple avec quelqu’un qui n’appartient pas à la même classe sociale n’est pas si facile après tout. Chacun se met alors à faire des concessions et débute alors une relation beaucoup moins passionnée mais aussi plus facile à vivre.
Il y a aussi cet homme qui se rend au mariage de son ami d’enfance dont il est toujours amoureux. La journée est extrêmement difficile pour lui, entre la joie et l’excitation d’avoir retrouvé celui qu’il aime, et la résignation de devoir le laisser à une femme. Pourtant, il avait cru pouvoir tirer quelque chose de cette rencontre, un regard complice, comme au bon vieux temps, un mot qui aurait tout dit de leur histoire. Mais il n’obtiendra qu’un rejet ferme et total.
De manière générale, toutes les nouvelles se terminent sur une note amère. Comme si, une fois la passion initiale consommée, les histoires d’amour avaient du mal à tenir debout. Comme s’il fallait faire durer cette passion coûte que coûte pour pouvoir continuer à vivre quelque chose ensemble, peut-être à s’aimer. Une passion souvent destructrice semble vouloir nous dire l’auteur. C’est peut-être même d’ailleurs sa défintion, une des conditions sine qua non de son existence. Un homme peut-il battre sa femme et l’aimer tout de même ? Le réponse n’est semble-t-il pas aussi simple à trouver, comme le suggère la quatrième nouvelle du livre, M.Bricolage.
Le réponse n’est semble-t-il pas aussi simple à trouver, comme le suggère la quatrième nouvelle du livre, M.Bricolage.
Entre les lignes, encore de l’amour
Toutes ces variations sur le motif de l’amour insistent sur un seul et même point : l’amour est par définition indéfinissable. Cette idée se retrouve dans la structure même du livre. Certaines nouvelles sont longues, d’autres très courtes, comme Autopsie qui ne fait que trois pages. Parfois elles n’intègrent qu’un seul personnage, parfois plusieurs, comme dans le très réussi J’attendrai. Le premier chapitre est écrit en focalisation interne avec le point de vue d’un homme qui attend celle qu’il aime. Il fait les cent pas dans son appartement et pense à toute leur histoire. Chapitre II, changement de focalisation. L’histoire se passe exactement au même moment, mais elle est vécue par la voisine de cet homme qui habite l’immeuble en face et qui le voit trépigner d’impatience. Elle aussi attend quelqu’un qu’elle aime : son fils.
L’écriture de l’auteur suit également cette idée. Parfois fluide, d’autres fois saccadée, presque gênante à la lecture, son écriture colle à l’image de chaque nouvelle. Ainsi dans Une bête sauvage, la narratrice est une chanteuse qui essaie de consoler un de ses musiciens. Elle l’aime et ne lui a jamais dit, mais lui en aime une autre. Elle lui explique que les chagrins d’amour finissent toujours par passer avec le temps, et que pour que ce soit moins douloureux elle en fait des chansons. Et à la manière d’un refrain, plusieurs motifs reviennent dans le texte. Les draps sur lesquels ils sont assis, la longueur des cheveux du musicien, ou encore la mauvaise qualité des cigarettes qu’elle fume. Pendant qu’elle lui parle, elle est déjà en train de faire une chanson car elle a compris que cette histoire était vouée à l’échec.
Pas exactement l’amour fait partie de ces livres qui ne font sens qu’une fois terminés. Les nouvelles font l’effet de montagnes russes, certaines sont très bonnes, d’autres moins, le langage est parfois très (trop) familier, et puis il y a des regains de passion, avant la prochaine rechute. Le livre est fait de hauts, de bas, d’accélérations, de ralentissements, de destructions, de déceptions, de reconstructions, de hoquètements et de déclarations. Un style pas toujours maîtrisé, dont on ne peut tenir rigueur à l’auteur tant il reflète bien l’objet du livre.
- Pas exactement l’amour , Arnaud Cathrine, Editions Verticales, 249 pages, 17,90 euros, mars 2015