Louis Vendel a vingt-neuf ans. Il a fondé plusieurs médias littéraires, dont La Lettre Zola. Accompagné de l’écrivain Victor Dumiot, il revient sur son premier roman : Solal ou la Chute des corps, un vibrant récit inspiré de son ami souffrant de troubles bipolaires, publié aux éditions du Seuil collection « Cadre rouge », en janvier 2024.

Victor Dumiot : Pourrais-tu commencer par détailler ton parcours ? Comment es-tu arrivé dans l’écriture, comment l’écriture est-elle arrivée jusqu’à toi ?

Louis Vendel: Je n’ai jamais vraiment fait autre chose qu’éditer des textes. J’ai eu l’immense chance de fonder puis diriger des médias que j’avais créés. Mon premier média un peu sérieux, remonte à mes 20 ans j’étais encore étudiant à l’époque, et l’avais construit avec quelques amis sous la forme d’une association qui s’appelait : « Unsighted ». 

Plus tard, et toujours avec le même ami et associé, m’est venue l’idée de créer une structure, qui aurait cette fois les caractéristiques d’une maison d’édition. De là est née l’idée de La Lettre Zola. 

En ce qui concerne mon rapport personnel à l’écriture, cette envie a toujours été présente, mais s’est renforcée au fil des années. 

V.D. :  Tu « rentres en littérature » avec ce premier roman, Solal ou la chute des corps (Seuil, janvier 2024), comment est-ce que tu présenterais aux lecteurs ton livre ? 

L.V. :  Solal ou la Chute des corps, est un livre assez délicat à classer, comme j’ai pu le découvrir à la suite de sa promotion. Or un positionnement hybride, ici en l’occurence, entre fiction et réel, n’est pas une chose si commune, malgré un essor important de la « littérature du réel ». Ce livre est un récit, puisqu’il s’agit d’une histoire vraie. Pourtant, il est écrit comme un roman et publié dans la collection littéraire « Cadre rouge » du Seuil. Ce n’est donc pas seulement de la « non-fiction » ou du « journalisme littéraire », c’est un « roman vrai ». Et ça, je ne sais pas si c’est tout à fait lisible pour le grand public et la critique… 

Pour décrire mon objet, je dirais qu’il s’agit avant tout d’une histoire « vraie », retranscrite quasiment en tout point sous la forme d’un roman. C’est ainsi que j’ai pu approfondir le langage littéraire, et y trouver une originalité… 

V.D. : Par la forme, donc ? 

L.V. :  Oui, surtout au niveau de la forme, puisque mon personnage, Solal, est aussi mon ami dans la vraie vie. Donc, comme j’étais désireux de proposer une matière littéraire exigeante, mais que je devais aussi être à l’écoute de mon ami, j’ai coupé certains passages qui allaient un peu trop dans le lyrisme, voire amendé mon texte lorsqu’il trouvait que les états d’âme du personnage, c’est-à-dire ses propres émotions, n’étaient pas assez bien retranscrites.

Tout cela m’a permis d’ancrer le roman dans un processus d’écriture original, où le personnage principal est aussi le premier lecteur. 

V.D. : La dimension littéraire est en effet très présente dans ton livre. Or c’est un exercice difficile que d’orchestrer son écriture, pour à la fois s’emparer du réel, chercher la vérité, et tout simplement écrire, avec ce que cela suppose de débordements, de dépassements, voire de falsification. N’as-tu pas eu l’impression de te heurter, constamment, à deux vérités ? La tienne, celle de l’écriture, et celle de ton ami ? Et question complémentaire, peux-tu revenir sur la genèse de votre amitié, laquelle est, d’une certaine façon, aussi la genèse de ce livre ?  

L.V. : J’ai rencontré Solal au début de ma vingtaine, c’était alors un camarade de promotion et nous sommes très vite devenus amis. J’ai tout de suite remarqué en lui quelque chose d’hors du commun. Et j’ai découvert plus tard que, ce que je prenais pour un grain de folie, une originalité, était en réalité les symptômes de ses phases hautes et basses. Pour moi, Solal c’était d’abord un personnage romanesque, et jamais je n’aurais imaginé, à cette époque, qu’il puisse avoir une maladie quelconque. C’est seulement plus tard, lorsque le diagnostic de bipolarité est tombé, que j’ai compris.

Ensuite, la question de faire de Solal le sujet de mon roman m’a traversé un jour comme une épiphanie. Il effectuait alors son tour du monde à pied, projet complètement fou, en passant par les Balkans. Je me souviens avoir trouvé cette entreprise de tour du monde elle-même très romanesque, et dans une sorte d’excitation, je lui ai proposé, à quatre heures du matin, de devenir le personnage de mon roman. 

V.D. : Au fond, entre son entreprise personnelle, un peu folle, celle de parcourir le monde sur une sorte de coup de tête, et la tienne, écrire sur Solal, il y a un lien évident. C’est une manière de poursuivre l’amitié à distance, non ? 

L.V. : L’écriture de ce livre s’est déroulée de façon « naturelle ».  Aucun « obstacle » n’est venu se poser dans la récolte de la matière première que constitue la vie de Solal, aucune résistance non plus dans ma manière d’écrire sur lui « au fil de l’eau », malgré son regard et ses remarques sur mon texte.

Je ne sais pas vraiment si Solal ou la Chute des corps, s’est conçu comme un moyen de poursuivre notre amitié, mais, après deux ans et demi à faire des allers-retours sur le texte, ou réfléchir à ses perspectives d’amélioration, tout cela l’a de toute évidence renforcée. 

C’était drôle, Solal trouvait toujours le temps de me répondre, alors même qu’il se trouvait parfois à douze mille kilomètre, au Cambodge, ou qu’il traversait les Balkans en hiver. 

V.D. : Est-ce que l’on passe un pacte, avec soi, avec son ami, lorsque l’on écrit ainsi sur de la matière vivante ? De surcroît t’es-tu posé certaines limites dans cette quête du «réel », comme des clauses à respecter ? 

L.V. : C’est difficile à dire. Le pacte vis-à-vis de Solal, c’était, je crois, de me permettre de m’exprimer sur ses agissements, d’avoir la liberté de décrire son « être » dans toute sa subjectivité. Il aurait pu s’opposer à l’utilisation de son image, chercher à contrôler le texte, car par moment, malgré toute sa bienveillance, je porte aussi un regard assez critique sur ses agissements. Mais Solal a reçu tout cela avec une intelligence qui a dépassé mes espérances. 

Lorsque des auteurs tels que Florence Aubenas, Emmanuel Carrère, ou même Mathieu Palain dans Ne t’arrête pas de courir, écrivent sur les autres avec l’idée de retranscrire le réel,  cette notion de « pacte » avec son sujet devient nécessaire. Chez d’autres écrivains, cette notion d’accord tacite va même très loin, dans la mesure où le sujet se trouve enlevé de son droit de relire. C’est une position assez journalistique, interprétative finalement. Essayer de raconter « le vrai » dans toute sa subjectivité, en prenant en compte que les souvenirs peuvent parfois s’altérer. Avec Solal cette forme de rigueur s’est tout de suite imposée.