Une femme, dont on ne connaît pas le prénom. Son téléphone portable vibre dans son sac à main. Il s’agit d’un officier de police judiciaire derrière le combiné : le corps d’un individu a été retrouvé sur la voie publique au Havre. Certes, cette femme y a grandi, mais qu’aurait-elle à voir dans cette affaire, elle qui exerce désormais comme doubleuse à Paris ? Un ticket de cinéma a été retrouvé dans la poche de cet individu sur lequel figure le numéro de téléphone de l’intéressée.
C’est ainsi que commence le dernier roman de Maylis de Kerangal, Jour de ressac, débarqué le 15 août 2024 des éditions Verticales, oui, un peu comme un polar.

Maylis de Kerangal, Jour de ressac

Cette femme – la narratrice – derrière laquelle on peut supposer quelques similitudes avec l’autrice, va tirer profit de cette convocation pour refaire corps avec sa ville, faire le constat du Havre en ressassant le passé et en faisant parler les fantômes. 

Ressac : retour des vagues brutal sur elles-mêmes ; retour de cette femme sur son enfance, sur son adolescence.

Spectres

Les spectres, lors d’une journée de déambulation, toquent à sa mémoire et réactivent des époques, des êtres connus ou non, une jeunesse et le souvenir d’un premier amour. C’est cette jeunesse perdue, ce cadavre de jeunesse, personnifiée par le cadavre lui-même, qui guide la narratrice dans ce retour, par le mouvement du ressac : elle tente de parvenir à la reconnaissance d’un visage comme elle tente la reconnaissance de sa ville.

Car le personnage principal de ce roman, le vrai mystère que l’on cherche à élucider, est cette ville du Havre. Fracassée, rebâtie, bétonnée, grise pour toujours. Sans jamais basculer dans la nostalgie ni dans l’adoration mystique des enfances égarées, Maylis de Kerangal dresse un paysage froid de la ville portuaire, détruite pendant la Seconde Guerre mondiale et reconstruite aux ras des gravats, ville étrange, ville fantôme, mise dans une bulle atemporelle, à la fois hors du monde et le desservant – ville-transit – à l’architecture aussi précise, rompue, que le portrait qu’elle en fait.

Le personnage principal de ce roman, le vrai mystère que l’on cherche à élucider, est cette ville du Havre.

“découvrant le gris de la ville, celui de l’estuaire et celui de la Manche, celui des façades des immeubles Perret, celui du ciel et des fumées, ce gris général, comme si les lieux avaient été purgés de toute couleur quand c’est un gris magique qui les retient toutes et les diffracte, un gris irrésolu, mitigé, hésitant.”

Maylis de Kerangal nous offre sa tentative d’épuisement d’un lieu par sa teinte, ses gens, sa mer dont elle connaît les mutations, le caractère et l’indéfinissable couleur, son vent qui surgit en bourrasque sur les flancs et en couloir dans les rues. Jour de Ressac est un roman des éléments, tant la ville a été repensée, dans son parcours architectural, en fonction d’eux.

“Le vent soufflait, un vent déstructuré, sinusoïdal, hasardeux, comme une chose sans tête, mais une force invisible qui liait tout ensemble, sanglait le ciel sur la mer, et nous – mouettes, bateaux, pelleteuse – avec eux.”

Ancré dans l’époque

La narratrice, femme de son temps, parisienne, est, par rapport à ses anciens camarades havra...