J’ai acheté un vélo de course couleur vert menthe pour aller au travail. Ne me demandez pas pourquoi, mais j’ai toujours rêvé d’avoir un vélo de course. J’aime l’idée d’avoir le dos penché sur le tube oblique à la recherche de la vitesse et la tête dans le guidon en forme de cornes de bélier.
Mon trajet pour aller au bureau, d’une trentaine de minutes, fait environ sept kilomètres. J’emprunte le boulevard Henri IV, où le trajet est parfois ralenti par les cavaliers de la Garde Républicaine sortant du quartier des Célestins. Je traverse le pont de Sully, avec vue sur l’arrière de la Cathédrale de Notre Dame. Au lever du soleil, une lumière orangée se reflète sur la Cathédrale, dans un ciel rose. Je m’arrête prendre une photo. Devant le Sénat, un homme masqué tient patiemment une pancarte avec écrit ‘’J’attends le contrôle fiscal AVEC IMPATIENCE’’. J’évite les tessons de verre, les nids de poule, les piétons qui traversent sans regarder et les portières de voitures. À huit heures du matin, la ville est encore calme et fraîche. J’aime prendre le pouls de la ville, tandis que le mien s’accélère.

Je découvre une typologie de parisiens et de parisiennes à vélo. Il y a ceux qui écoutent France Info à l’aide d’une enceinte, ou ceux qui fument. Des adolescents en jean baggy zigzaguent sur les vélibs’ électriques en chantant à l’unisson et en grillant les feux à l’intersection, car je cite : « y a jamais de voitures qui arrivent par là ». Lorsque l’ado qui conduit le vélib’ écrit un texto tandis que son acolyte debout à l’arrière tente de manier le guidon, la scène ressemble davantage à une figure de voltige qu’à un déplacement urbain.
Rapidement, je constate que les conducteurs de voitures ne partagent pas volontiers la route avec les vélos. J’ai peur quand les taxis me frôlent. Faire du vélo n’a que des avantages, pourtant nous sommes loin de faire l’unanimité. L’autrice Rachel Cusk décrit cette antipathie que le cycliste ressent à l’égard des voitures, et qui, lorsqu’il devient automobiliste, peut immédiatement être agacé par un cycliste. Lorsqu’il devient piéton, il peut détester les deux, parfois en ayant changé de rôles plusieurs fois dans la même journée.
J’admire les parents transportant leurs enfants casqués sur les vélos-cargos. C’est en observant cette catégorie de cyclistes que j’ai remarqué une attitude différente entre les hommes et les femmes : les pères adoptent la même conduite que lorsqu’ils pédalent seuls et décident souvent d’ignorer les feux rouges, tandis que les mères, elles, sont nettement plus prudentes. Ce qui, paradoxalement, les dessert : elles sont plus mises en danger à vélo lorsqu’elles respectent le code de la route.
Road rage
Un soir en rentrant du travail, je me suis faite arrêter par quatre gendarmes parce que j’avais grillé un feu. C’est la première fois que j’étais prise en flagrant délit. Quatre agents m’ont demandé de me mettre sur le trottoir, en m’entourant de chaque côté. Comme si, du haut de mon mètre cinquante-six (et demi), je présentais une menace. Ils ont bombé leur bedaine en écartant les jambes et m’ont demandé de quelle couleur passait le feu après le vert. Je les ai regardés, sans répondre. J’ai commis une infraction, certes, mais inutile de m’infantiliser. L’un d’entre eux a sorti ses lunettes de vue pour enregistrer...