Jusqu’au 29 mai 2022, le musée Maillol consacre une rétrospective au célèbre photographe Steve McCurry. L’occasion de retracer les quarante ans d’une carrière ponctuée de rencontres, de voyages et d’imprévus, où le regard de l’artiste se mêle à celui du Monde qu’il côtoie.
Photojournaliste phare de l’agence Magnum ayant traversé des dizaines de pays, on ne présente plus le célèbre Steve McCurry, véritable référence en matière de photographie documentaire. Né en 1950 à Philadelphie, il n’a eu de cesse de placer l’humain au centre de son attention dès lors qu’un appareil photo fut placé entre ses mains. Loin d’adopter un schéma chronologique ou thématique, le parcours, pensé par le commissaire d’exposition Biba Giachetti, cherche plutôt à mettre avant tout en lumière cette profonde humanité qui se dégage des tirages de Steve McCurry. Aussi le visiteur dispose-t-il du plaisant loisir de déambuler au sein d’un groupement de plus de 150 clichés imprimés en grand format. Des États-Unis à l’Inde, en passant par le Sahel, l’Italie, l’Afghanistan,… nos pas empruntent ceux du photographe dont la principale ambition a été de partir à la recherche de ce qui lie les hommes entre eux, de ce qui les rapproche et non de ce qui les divise.
L’œil comme porte d’entrée
L’intérêt marqué pour les rapports humains innerve sans conteste l’ensemble de l’exposition. Dans la pénombre qui enveloppe les différentes salles, des visages, marqués par le temps ou par les épreuves de la vie, captent notre attention. Ils nous sollicitent à un retour vers une profonde empathie. Car c’est bien là où le photographe excelle : il parvient à saisir l’intensité d’un être par la simple captation de son regard. Les portraits se succèdent, dessinant une poésie de la vue et initiant le spectateur à une mise en contact avec ces figures étrangères, et pourtant si proches. C’est que le photographe sait voir et va bien au-delà des apparences sensibles.
D’emblée, l’attention portée à l’humain se ressent intimement par cette mise en valeur du regard. Les yeux de ces multiples personnages nous racontent une histoire, deviennent récit de soi et créent une passerelle entre les espaces. C’est par leur biais que nous plongeons dans un monde qui nous est étranger et dont la beauté est sublimée par l’appareil de Steve McCurry. Chaque regard nous enivre de voyages. Chaque visage somme le spectateur de s’arrêter pour comprendre l’histoire qui se cache derrière la photographie.
À cet égard, grâce à l’audioguide prêté en début de parcours, l’exposition est semée d’anecdotes racontées par Steve McCurry, permettant au visiteur de connaître le contexte dans lequel les clichés ont été réalisés. On prend alors d’autant plus conscience de la capacité qu’a le photographe à saisir un instant si plein de force et de consistance, ce « punctum » comme l’appelait Roland Barthes, qui dépasse le champ du visible.
Un coloriste de la vie
Chaque regard nous enivre de voyages. Chaque visage somme le spectateur de s’arrêter pour comprendre l’histoire qui se cache derrière la photographie.
Que de couleurs imbibant les tirages ! Photographie ou peinture… on hésite souvent, face à l’immense richesse de nuances qui constitue le tour d’horizon auquel nous sommes invités. Si la visite s’ouvre sur des clichés en noir et blanc, pris en 1979 en Afghanistan pour réaliser un reportage aux côtés de mujahidin en guerre contre l’armée soviétique, elle évolue rapidement vers une explosion de couleurs. La grande maîtrise de Steve McCurry dans l’utilisation des teintes permet de faire ressortir toute l’élégance de ses images, mais aussi la philosophie pleine d’espoir qui semble habiter le photographe. Partout, la lumière et la couleur jaillissent de situations souvent tragiques et expriment l’impossibilité de la guerre à anéantir les différentes sources de vie.
Qu’on pense par exemple à ce feu jaune étincelant autour duquel se réunit un groupe d’hommes pour se réchauffer, en plein milieu des décombres d’Herat, à cet enfant courant à toute allure entre les murs bleus de Jodhpur ou encore au foulard rouge vif déchiré de la si célèbre « Afghane aux yeux verts ». Aussi surnommée la Mona Lisa du Tiers Monde, et photographiée en 1984 dans le camp de réfugiés pakistanais de Nasir Bagh, le portrait de Sharbat Gula a parcouru le globe après avoir fait la une du National Geographic. Son regard saisissant et les couleurs éclatantes construisant le cliché ont concurru à isser cette jeune fille de 13 ans au rang de véritable icône des réfugiés de guerre.
Doté d’un puissant don d’observation, Steve McCurry nous invite ainsi à la contemplation de ces visages de personnages ordinaires emplis d’intensité. Il déclare : « En y repensant, je m’aperçois que c’est grâce à ces vibrations colorées que j’ai appris à voir et à écrire avec la lumière ». L’appareil photographique se mue en pinceau. Au contexte de guerre et à la misère des lieux se superposent de multiples couleurs qui nous font parfois oublier le désespoir de certains pays en crise, afin d’en proposer une image plus optimiste.
Des morceaux d’Histoire
De par les photographies porteuses d’histoires qu’il donne à voir, Steve McCurry se définit lui-même comme un « conteur visuel ». À ce titre, le contexte historique de chaque tirage apporte une intensité aux portraits et aux scènes photographiés. La poésie des couleurs à laquelle il recourt tranche bien souvent avec la situation politique ou historique qui se dessine en arrière-plan.
De la sorte, l’envol de colombes, photographié en 1991 devant la mosquée de Mazar-i-Sharif, devient par exemple d’autant plus poignant que l’on connaît l’instabilité malheureuse de l’Aghanistan et que l’on sait à présent la ville aux mains des talibans. Steve McCurry joue ainsi avec délicatesse sur les contrastes, entre une toile de fond historique souvent dramatique et la représentation de ce qui constitue une forme de pureté de la condition humaine. De la guerre en Afghanistan à la guerre du Golfe en passant par l’effondrement du World Trade Center, le photographe rend compte des grands bouleversements qui ont lieu et, pour cela, ses tirages sont autant de témoignages de notre monde.
Steve McCurry joue ainsi avec délicatesse sur les contrastes, entre une toile de fond historique souvent dramatique et la représentation de ce qui constitue une forme de pureté de la condition humaine.
Et loin de seulement transiter d’un pays à l’autre, il s’immerge dans les peuples qu’il visite, plusieurs jours durant, afin de mieux en saisir la philosophie et le mode de vie. C’est ainsi qu’il procède lorsqu’il décide de photographier les mujahidin, les Touaregs, ou encore les moines Shaolin après avoir passé un séjour avec ces-derniers dans le monastère de Zhenghou pour comprendre l’essence des arts martiaux. Tibet, Inde, Yemen, Pakistan, Italie, Mongolie, Sahel,…au plus près des hommes, Steve McCurry parcourt l’espace et l’Histoire, et l’exposition nous invite à un véritable tour du monde.
On se souviendra de cette photo où quatre enfants, empreints d’innocence, s’amusent sur une mitrailleuse abandonnée, postée sur un terrain criblé de mines à Beyrouth. Elle résume à elle seule la vision du monde de Steve McCurry : un monde où ténèbres et lumière s’entrecroisent, mais dans lequel pureté et espoir, qui constituent profondément le genre humain, reprennent toujours le dessus.
- L’exposition Le Monde de Steve McCurry est à découvrir au Musée Maillol, à Paris, jusqu’au 29 mai 2022