Présenté en compétition officielle au festival de Cannes et reparti bredouille, The Old Oak fait cohabiter les miséreux de la société anglaise et les réfugiés de guerre syriens, nous laissant une impression de déjà-vu.
Après Moi, Daniel Blake, palme d’or en 2016, et Sorry we missed you en 2019, The Old Oak, Ken Loach situe l’action de son film pour la troisième fois d’affilée dans le nord-est de l’Angleterre, une région laissée à l’abandon par le pouvoir en place. Dans une bourgade qui ne sera jamais nommée, TJ Ballantyne est le propriétaire du Old Oak, un pub miteux où les travailleurs se réunissent pour pester contre leurs conditions de vie précaires. Ce microcosme est chamboulé quand arrive un bus rempli d’immigrés syriens fuyant la guerre. Ces derniers seront alors confrontés à l’hostilité des habitants, dont le racisme témoigne de leur douleur à se sentir délaissés par les hautes instances politiques.
Lutte commune pour les plus précaires
La plus belle idée du film, et peut-être même sa seule idée de mise en scène, apparaît dans son introduction, composée de photographies prises par Yara, l’une des réfugiés qui débarque déboussolée dans un milieu qui la rejette. Par-dessus ces quelques clichés, on entend les voix agressives des habitants qui assistent à ce qu’ils considèrent comme une « invasion ». Alors que la photographie prendra une place importante dans le film, l’arrière-salle du pub étant couvertes de témoignages des luttes ouvrières des années 80, les photos de Yara semblent elles aussi immortaliser ce nouveau chapitre, cette cohabitation difficile entre deux communautés qui parviendront à se retrouver avec la misère comme dénominateur commun. À travers la rencontre de la jeune Yara et du tenancier de bar constamment au bord de la rupture (sauvé à deux doigts du suicide par l’arrivée presque christique d’un petit chien), Ken Loach réunit les laissés pour compte de la société anglaise dont les luttes viennent à se confondre. Le point de vue du cinéaste sur cette immigration n’est jamais ambigu, il la conçoit comme un possible enrichissement des cultures, aussi bien culinaire (l’arrière-salle du bar devenant une cantine où se réunissent les habitants comme les immigrés) que religieux. La haine des habitants va alors doucement s’estomper pour laisser place au respect et à la bienveillance ; et même ce petit groupe d’irréductibles racistes qui vont donner du fil à retordre à nos héros seront soudainement évacués du cadre. Loach nous fait comprendre que certains cas, tenaces, ne peuvent être sauvés. Par conséquent, il considère inutile que la caméra s’y attarde plus longtemps.
The Old Oak est plutôt bien écrit et bien interprété, mais sa réalisation plate se contente de suivre paresseusement les personnages.
À l’arrêt
On reproche souvent à certains réalisateurs au style très marqué de refaire inlassablement le même style : une critique qui a pu récemment être formulée à l’encontre de Wes Anderson ou Nicolas Winding Refn. En général, cette remarque n’a pas d’intérêt, car ces metteurs en scène, qu’on les apprécie ou non, parviennent toujours à créer des variations dans leur cinéma qui les fait doucement évoluer, quand ce n’est pas la passion et surtout l’obsession pour une esthétique ou un sujet qui porte leurs œuvres. Dans le cas de Ken Loach, brassant depuis maintenant plusieurs décennies les mêmes thématiques, qu’il réalise encore des œuvres traitant des conditions de vie des plus précaires, révèle peut-être que malgré tous ces états de fait, rien n’a changé : les pauvres s’appauvrissent et les bourgeois s’enrichissent. Cependant, le travail de Ken Loach avait peut-être encore un peu d’intérêt lorsqu’il variait le traitement de ses sujets : par exemple en métaphorisant la lutte des classes au travers des révolutionnaires irlandais dans Le Vent se lève, ou en posant le problème sous l’angle de la comédie dans La Part des anges. Le souci, c’est que la récompense octroyée à Moi, Baniel Blake a poussé Loach à renouveler inlassablement cette même recette. Et si les luttes diffèrent encore du point de vue du récit (les immigrants de The Old Oak ne sont pas les chômeurs de Moi, Daniel Blake), sur le plan de la réalisation, ces exemples récents sont d’une pauvreté abyssale. Qu’on ne s’y trompe pas, Ken Loach a encore des choses à dénoncer, et cela se sent dans ce dernier long-métrage, mais il ne semble plus vraiment savoir comment le dire. Aussi linéaire et prévisible qu’il puisse être, The Old Oak est plutôt bien écrit et bien interprété, mais sa réalisation plate se contente de suivre paresseusement les personnages, aucun événement ne semblant alors se détacher du reste du film. Plusieurs scènes auraient pu être l’occasion d’expérimenter, de narrer cette histoire par les moyens de l’image : par exemple la déroutante tentative de suicide de TJ ou la mort abrupte de son chien. Rien n’y fait, Loach porte si peu d’intérêt pour les cadres qu’il compose, que ces embryons de tragédie sont oubliés dès qu’on passe à la scène suivante.
On pourrait rétorquer que Ken Loach n’a jamais été un grand cinéaste de l’image, que sa mise en scène n’a toujours fait que regarder l’histoire qui se déroule devant ses yeux, mais c’est faux. Ses premiers films relevaient d’une esthétique sale qui accentuait le désespoir des pauvres, tandis que l’épure de sa première palme d’or, Le Vent se lève, mettait l’accent sur les interactions entre les personnages ainsi que leur dénuement face à l’oppression anglaise. Dans The Old Oak, Loach n’a plus de prise sur ce qu’il filme, ni la volonté de manifester ses intentions par le biais de la caméra. Même la mort (qui intervient à deux reprises et semble planer sur le reste du film) n’est qu’un prétexte dramatique pour créer de nouvelles situations scénaristiques. Comme les frères Dardenne, grands représentants d’un cinéma dit social, Ken Loach, qu’on invite à Cannes plus pour son statut que pour la qualité de ses œuvres, a progressivement perdu ses atours de cinéaste. Ses derniers films nous donnent l’impression de nous être assis dans une salle de cinéma pour regarder un banal téléfilm cannois.
The Old Oak réalisé par Ken Loach avec Dave Turner et Ebla Mari. En salles le 25 octobre.