Premier long-métrage du talentueux chef opérateur Sean Price Williams, The Sweet East est un voyage placé sous le signe du désordre, filmé avec une caméra fébrile. À travers la fuite de Lilian, une jeune lycéenne en quête d’aventure, le réalisateur américain nous livre un conte imprévisible et jouissif, aussi excessif que la société qu’il dépeint. 

The Sweet East

Vous le lirez ailleurs : The Sweet East est un film qui « parle de l’Amérique ». En suivant la fugue de Lilian, une jeune fille qui abandonne sa vie d’adolescente banale, Sean Price Williams nous expose en effet aux failles et clivages de la société états-unienne, en se baladant d’un extrême à l’autre. Antifas, néonazis, islamistes, adolescents médiocres et réalisateurs branchés, Lilian rencontre tout, sans jamais être ni investie ni mal à l’aise. Ce détachement, qui fait que rien ne paraît très sérieux, crée le terrain parfait pour une satire amusante et picaresque, à l’image d’un Candide ou d’un Beau is Afraid, où la suite du scénario échappe à la logique déductive. Pendant presque deux heures, la fugue prend des allures de road « trip » parsemé d’apparitions cauchemardesques mais toujours détournées : le néonazi tient du gentleman et les islamistes divisent leur journée entre entraînement à la kalash le matin et soirée techno-porno la nuit venue. Lilian passe entre les mondes, ballotée au gré des rencontres et du hasard arrivant toujours à point nommé, cultivant une innocence de façade. Assurément, les péripéties calculées de Lilian sont l’occasion pour Sean Price Williams de croquer avec dérision les bas et les très-bas de la société américaine. Mais ce qu’on vous dira moins, c’est que The Sweet East est une fable sur le regard. 

Miroir, leurs beaux miroirs

Dans son roman Le cœur est un chasseur solitaire, Carson McCullers fait de John Singer, sourd-muet de naissance, le réceptacle des maux de quatre personnages solitaires qui viennent spontanément se confier à lui. Progressivement, chacun s’imagine que le silence de Singer est la preuve d’une compréhension au-delà des mots, d’une entente parfaite, résonnant au plus profond de leur nature humaine. Mais chacun ne fait tout au plus que modeler Singer à son image, projetant sur lui ses espoirs, ses craintes, ses obsessions. C’est la même question qui est posée dans The Sweet East : celle du regard de l’autre, qui nous modèl...