Avec Tout le monde s’aime d’Alain Absire, les éditions Pierre-Guillaume De Roux nous offrent un conséquent florilège de nouvelles (Dix histoires d’amour pour être précis). Pas de mystères, le titre et son sous-titre ne mentent pas, c’est bien de l’Amour et plus particulièrement des amours (avec un grand S) dont il sera question dans ce petit recueil.
A travers ces dix histoires d’amour parfois cruelles ou émouvantes, Alain Absire fait voyager son lecteur d’un petit village italien aux coulisses palermitaines du Guépard, des cerisiers d’une maison de retraite de Kyoto à la fleur écarlate d’une beauté d’Arabie, tout en passant par New-York et les Caraïbes. Parfois cruellement géosociologique, comme dans la nouvelle « Folamour (de La Rivière d’argent) » évoquant le quotidien morne d’une caissière de la banlieue troyenne, le paysage d’Alain Absire peut se révéler parfois sous des airs merveilleux quand l’écriture rejoint un imaginaire plus vaste. Difficile de lire « La fleur écarlate de l’amour » sans penser aux Milles et une nuits, difficile de ne pas être happé par la moiteur caribéenne d’ « Un amour immortel (I) » ou de succomber à son tableau de l’Amérique des seventies dans la nouvelle « Ce soir, je tue John Lennon ». Si le traitement de ces espaces est parfaitement maitrisé et fait corréler l’espace géographique et une certaine conception esthétique, l’essence même de ces voyages se trouve dans les figures humaines que nous rencontrons. Célèbre ou anonyme, jeune ou vieux, riche ou pauvre, chaque personnage incarne une manière d’aimer.
La nouvelle « Maman dort encore » évoque, entre tendresse et ironie, l’amour filial d’un « homme-enfant » pour sa mère, endormie depuis trois jours mais qu’il ne faut pourtant pas réveiller. C’est un déni de mort semblable que nous trouverons dans « L’enfant dans la valise » où l’amour d’une mère pour un nouveau-né conforté par un délire mystique rend la passion immortelle.
L’amour peut aussi se montrer méritoire. Dans « La fleur écarlate de l’amour », un vieux conteur arabe nous raconte l’histoire d’un jeune maçon qui se mettra, par amour, à la recherche d’une jeune fille et de sa fleur écarlate qu’il a contribué à emprisonner, entamant ainsi un long voyage à travers le pays. «Ce soir je tue John Lennon » nous fait entrer dans les pensées d’un jeune homme venu d’Hawaï pour abattre John Lennon dans le but d’exister à nouveau pour les yeux de sa bien-aimée.
L’amour peut aussi se montrer parfois de manière plus tendre, dans « Folamour (de La Rivière d’argent) » c’est par l’amour pour son chien de race qu’une femme commune échappe au quotidien fade de sa banlieue industrielle; dans «Eloge de l’amour au très grand âge» un vieux japonais tombe amoureuse d’une femme en fauteuil roulant à qui il livrera plusieurs lettres d’une beauté sans pareille.
Ces dix nouvelles déclinent, transposent et présentent aux lecteurs autant de manières d’aimer. Que l’amour soit tendresse ou passion, désir ou folie, Alain Absire nous présente dans cet ouvrage la multitude des modulations du sentiment amoureux.
L’amour disséqué : d’Eros à Thanatos.
« C’est au matin du 24 juin qu’apparurent de façon claire et quasi généralisée ce qu’il est convenu d’appeler désormais : « Les signes cliniques avérés d’hypersexualité compulsive généralisée. » peut-on lire dans la nouvelle charnière « Tout le monde s’aime. L’épidémie. »
Seules nouvelles à ne pas se présenter dans un ailleurs flagrant, les deux variantes de « Tout le monde s’aime » prennent place dans un cadre plus proche du notre et pourtant bouleversé par le « virus satyriasique et nymphomatique » aux symptômes libidineux. C’est alors la panique pour Eva Poznanski, neuropsychiatre de profession, qui voit dans cette curieuse maladie la fin tangible de l’humanité, bien trop occupée à copuler pour se rappeler à ses obligations premières. Point d’orgue du recueil, cette nouvelle traduit, certes avec humour, l’enjeu principal de ces dépictions du sentiment amoureux : à savoir la dualité entre Eros et Thanatos.
Œuvrant toujours ensemble il n’est donc pas étonnant de retrouver dans nombreuses de nos nouvelles la pulsion de mort associée à la pulsion de vie.
Œuvrant toujours ensemble il n’est donc pas étonnant de retrouver dans nombreuses de nos nouvelles la pulsion de mort associée à la pulsion de vie. C’est d’ailleurs sur deux nouvelles particulièrement marquées par la mort que s’ouvre notre recueil avec « L’enfant dans la valise » où une mère confrontée à la mort de son fils cherche la résurrection dans la prière et «Maman dort encore » qui renverse le schéma et nous présente un déficient qui doit faire face à travers sa propre perception à la mort de sa mère qu’il croit pourtant endormie. Le sentiment amoureux n’est pas non plus dénué de violence, c’est la peur de se voir délogé du cœur de sa femme qui pousse l’assassin de « Ce soir, je tue John Lennon » à passer à l’acte. Dans « Un amour immortel », Esteban fait l’expérience du passage de l’attirance à la répulsion vis-à-vis de Jesu Ramon qui se métamorphose et passe de l’esclave émancipé au tyran esclavagiste.
Et pourtant c’est l’amour qui jalonne toute ses vies, comme en témoigne la suite de la nouvelle « Toute le monde s’aime » sous-titrée avec justesse « la thérapie et dans laquelle la neuropsychiatre finit enfin par se débarrasser de son exagération pathologique suite au retour permis par la maladie de son ancien et unique amant dont «le cœur ailé tatoué en travers des reins » lui sera révélé après la tentation. Le désir amoureux peut être vertigineux et pourtant ces deux nouvelles, véritable fil d’Ariane du récit, nous rappellent que le sentiment prévaut avant tout et que l’on peut certes faillir en succombant mais qu’il est aussi tout à fait possible de succomber sans faillir.
S’éloignant des clichés romantiques éculés, Alain Absire nous livre dans son recueil une petite dizaine d’histoires d’amours parfois touchantes, drôles ou cruelles mais bien menées par une écriture fine et précise qui faire surgir la poésie du sentiment amoureux, sous couvert du genre pourtant exigeant de la nouvelle.
- Tout le monde s’aime, Alain Absire, Pierre Guillaume De Roux, 222 pages, janvier 2014