Toutes les vies de Théo explore avec une acuité véritable les tensions identitaires et les dilemmes existentiels d’un homme pris dans l’entrelacement d’appartenances contradictoires. À travers un récit marqué par des choix de vie irréversibles, des relations complexes et des questionnements incessants, le roman met en scène un protagoniste qui divague entre ancrage et déracinement, entre fidélité et désir d’évasion.

Théo adopte dès l’incipit une posture analytique face à sa propre existence, posant comme axiome que « dans une vie, on ne pren[d] que quatre ou cinq décisions cruciales »​. Ce chiffre, qui semble rassurant, est rapidement remis en question par la densité du réel, qualifié de « trop épaisse pour être passée au tamis de la volonté »​. Ce contraste entre la volonté de structurer sa vie et la résistance du monde à toute simplification du réel constitue l’un des fils conducteurs du récit.

Le roman aborde avec finesse la complexité des appartenances culturelles et religieuses. Théo est décrit comme un personnage tiraillé entre des identités fluctuantes, cherchant à se situer entre judaïsme et monde arabe. La réplique de Léa : « Tu auras passé la première moitié à vouloir être juif et la seconde à vouloir être arabe »​, synthétise avec une ironie mordante ce va-et-vient incessant entre deux pôles identitaires, laissant entrevoir une quête d’appartenance inachevée. Le voyage en Israël agit ainsi comme un révélateur, car Théo s’efforce d’expliquer à sa fille Noémie « les trois religions, le peuple élu, la Terre sainte »​, comme s’il cherchait à construire une cohérence à travers la transmission. Pourtant, son malaise face aux drapeaux et aux symboles nationaux traduit une tension persistante entre attachement et rejet. L’image des F-16 dans le ciel du Néguev cristallise cette ambivalence : Théo est fasciné par cette démonstration de puissance, qui incarne une appartenance affirmée, mais il en perçoit aussi la distance, comme si cette force collective soulignait son propre statut d’observateur étranger. 

Face à la quête d’identité, la figure de Léa, femme juive issue d’un milieu sécularisé et compagne de Théo, incarne une attitude plus critique et détachée. Lorsqu’elle refuse que Noémie fasse sa bat-mitsva en déclarant que ce n’est qu’un « truc d’enfant gâtée »​, elle oppose une laïcité revendiquée à l’enthousiasme de sa fille pour l’héritage juif. Cette tension intergénérationnelle souligne la difficulté à s’émanciper d’un héritage culturel.

Toutes les vies de Théo déploie une complexité profonde, où les relations humaines, les engagements intellectuels et affectifs sont marqués par des tensions identitaires constantes.

Des relations en clair-obscur

L’histoire d’amour entre Théo et Léa est ponctuée de heurts et de malentendus, révélateurs des tensions identitaires sous-jacentes. Léa exprime un besoin d’ancrage, tandis que Théo semble plus enclin à la fuite et à l’exploration de nouvelles dimensions affectives et culturelles. Le dialogue entre eux se teinte d’accusations réciproques, Théo reprochant à Léa d’avoir voulu oublier ses origines, tandis qu’elle l’accuse de naviguer entre deux mondes sans jamais s’y fixer vraiment​. Notons que l’apparition de Maya, nouvelle amante, dans la vie de Théo illustre cette quête d’altérité. Décrite avec des détails sensoriels marqués – « ses ongles vermillon », « sa bouche rouge »​ – Maya incarne une figure d’échappatoire et de fascination. Toutefois, la superficialité de leur relation est évidente, notamment lorsqu’elle devient une mise en scène sur les réseaux sociaux, mêlant esthétique et revendications identitaires. La tension entre le désir de Maya et la réalité de leurs échanges illustre la difficulté de Théo à s’engager pleinement dans une relation qui ne soit pas dominée par des projections fantasmées.

Cette difficulté s’accentue dans son rapport à la paternité. Lorsqu’il devient père de Noémie, la prise de conscience est immédiate : « il était devenu père et juif par sa fille »​. Cette phrase traduit un bouleversement identitaire irréversible, où la transmission s’impose à lui de manière inéluctable. Toutefois, le rapport entre Théo et Noémie reste marq...