Quand le désir tiraille la chair et que la défonce fait battre le cœur, le chemsex (le sexe sous drogue) devient un chaos orgasmique. Mais rapidement, le défilé des corps masculins ne rassasie plus et l’enfer se dévoile : coma, viol, maladies sexuellement transmissibles, dépendance… Après avoir vécu l’horreur une question demeure : peut-on en finir avec les amours chimiques ?

Je me suis réveillé de mon G-hole les yeux explosés, les boyaux en vrac, l’anus déchiré. G-hole, un nom presque fancy pour un coma de plusieurs heures. Un mec avait sur-dosé ma prise de GHB. Pendant des heures, ce mec, ou peut-être plusieurs, avait baisé mon corps inerte, inconscient, presque mort.

Enfant déjà, j’aimais regarder les corps des hommes. J’effleurais du regard les muscles bandés, les culs bombés, les veines saillantes sur leurs mains puissantes. Ces hommes, je voulais qu’ils me regardent, je voulais qu’ils me prennent. Je cherchais une connexion spéciale, cosmique. J’avais un besoin urgent, insatiable, de sentir la brûlure de leurs caresses. Ce désir juvénile, je ne me doutais pas que ça faisait de moi une proie. Une cible toute trouvée pour les salauds qui veulent « casser du pédé ». Je me souviens d’avoir été rejeté par les autres garçons après une fois où nous avions pris nos règles pour « faire la taille » aux toilettes. Mon émerveillement face à la différence de formes, de couleurs, de textures avait conduit certains à flairer ma différence. La honte avait alors habité mon corps. À l’adolescence, j’avais décidé de m’en foutre. De remplacer la honte par la fierté car je rêvais d’un monde sans préjugés, sans barrières, où le plaisir serait souverain dans la fusion de corps masculins.

Ce monde, j’avais fini par le trouver pendant mes études. Plus précisément, je l’avais trouvé dans la fête, sous les lumières stroboscopiques des boîtes « Gay men only ». Avec la musique et l’alcool, je n’étais plus qu’un amas de chair animé par l’envie d’être vu, touché, aimé. Vivant. Je me repaissais des mains inconnues qui glissaient le long de mon dos et agrippaient mon cul, des langues qui léchaient mon cou, des lèvres qui se collaient aux miennes. Des bras saisissaient les miens et me guidaient jusqu’aux chiottes. Là, s’échangeaient toutes sortes de fluides, corporels et synthétiques. Je me rappelle cette nuit où un pote m’avait fait goûter à la MDMA. La drogue de l’amour, il m’avait dit. Une vague de chaleur m’avait envahi. J’avais passé une soirée incroyable, en connexion totale avec l’univers. À la MD s’étaient ajoutées des traces de coke pour m’ouvrir encore un peu plus aux autres. Jusqu’aux petites heures du matin, je me fondais dans une foule joyeuse, poisseuse de sueur et de sperme. Je faisais corps avec ces hommes ivres de rencontres. La nuit, la vie me paraissait lumineuse. Je ne comptais plus mes amis. Je vivais au rythme des notifs.

Puis le confinement avait mis à mort la fête. Plus aucun signe de vie de mes « amis ». Je m’étais réfugié sur Grindr, j’avais scrollé durant des heures. Asphyxié par la solitude, l’idée du plaisir à portée de pouce avait gorgé mon sexe d’un afflux sanguin, vital. Assez vite, un mec m’avait proposé un « plan chems ». « Chem » pour chemical, « s » abréviation de sex. Le chemsex m’était apparu comme la fusion de mes deux plus grands plaisirs dans la vie : le cul et la défonce. Excité, je m’étais retrouvé à prendre un Uber un vendredi soir, en plein confinement, pour un plan cul chez un inconnu. 

Sur le pas de la porte, j’avais été surpris d’entendre plusieurs voix. Un type m’avait laissé entrer à condition de me déshabiller intégralement. Il m’avait indiqué les sacs-poubelle par terre pour ranger ses effets personnels. J’avais obtempéré en me demandant ce que je foutais là. Une dizaine de mecs à poil discutaient dans le salon. Certains se caressaient, d’autres préparaient les doses. Un petit tatoué m’avait expliqué qu’on mélangeait de la 3-MMC et du GBL ou GHB – j’étais passé de la drogue de l’amour à la drogue du violeur. Qu...