Dans le cadre de notre dossier sur la condition animale, nous sommes allés à la rencontre d’Emma Guerchon, co-fondatrice et co-rédactrice en chef du magazine Bâtard, une revue spécialisée sur les chiens.

Julie Manhes :Bâtard est une revue spécialisée sur les chiens. Pourquoi avoir choisi de lancer un magazine sur ce thème ? Pourriez-vous nous la présenter ? Quelle est votre relation avec le Dog Social Club ?

Emma Guerchon : À l’origine, je viens des médias et j’ai eu un constat assez simple. Nous avions un amour pour la revue et son format, les beaux livres et étions assez frustrés de ne pas en voir en France. Sur les chiens notamment, il y avait des exemples de revues indépendantes anglaises (Dog), très peu américaines, quelques-unes italiennes (Dog + Human) et allemandes. Nous collectionnions toutes ces revues-là sur différentes thématiques. La France étant un pays de presse, nous avons aussi cet amour de la presse et du livre et voulions combler un vide, estimant que nous n’étions sûrement pas les seuls à avoir envie d’un média papier sur les chiens, avec un axe culturel et sociétal. Il y a à peu près 8 millions de chiens en France pour 70 millions d’habitants. C’est comme s’il y avait un éléphant dans la pièce, et que rien ne se passait. C’est un sujet de société, donc pourquoi n’en parle-t-on pas davantage ? La presse, c’est aussi symbolique, avec l’idée de mettre un objet presse en kiosque relativement visible, et ce malgré le succès du digital. Il y a une sorte d’engagement. En librairie, ça reste plus anecdotique, car les gens croisent plus de kiosques que de librairies dans la rue. Nous voulions nous inscrire dans la presse thématique et lui donner une place dans le paysage médiatique.

” Il y a près de 8 millions de chiens en France pour 70 millions d’habitants. C’est peut-être le plus grand nombre de collocations sur Terre “

Il y a toujours moyen d’élargir à partir de ce sujet qu’est le chien. La forme sert le fond. Nous avons décidé de créer un beau média papier qui se collectionne et développe un sujet d’actualité et de société. Alors évidemment, c’est ambitieux mais 80% des gens qui ont un chien ne les comprennent pas complètement, alors qu’on cohabite avec eux. C’est peut-être le plus grand nombre de collocations sur la Terre.

Julie Manhes : Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est le Dog Social Club ?

Emma Guerchon : Le Dog Social Club, c’est toute la partie studio de création. C’est un projet que nous avons monté en parallèle du média Bâtard, parce que quand on est un média, il faut parvenir à se diversifier. C’est essentiel pour avoir un modèle économique sain et viable. Nous proposons des conseils principalement en direction artistique, pour des marques du monde animal, pour les chiens mais aussi d’autres animaux. Nous faisons des shootings photos, du conseil éditorial, de l’entrepreneuriat aussi, nous aidons de plus jeunes sociétés du monde animal à se structurer, et nous travaillons avec les collectivités locales. Il y a un biais de politique publique. L’idée c’est qu’on devienne des lobbyistes peut-être d’ici 3 ou 4 ans, mais j’ignore si on y parviendra. Nous gagnons progressivement en influence – comme nous sommes basés à Lyon, nous faisons du consulting pour la mairie. Nous les aidons à l’organisation de la fête des animaux, il y a des budgets participatifs sur des zones, ils nous demandent notre avis sur des zones qui sont intéressantes ou non pour les chiens. Nous travaillons main dans la main avec toutes les associations du monde anima en organisant notamment des moments d’échange avec les jardiniers et gérants des espaces verts afin de responsabiliser un maximum les gens. Le chien est un ressort de société. Nous avons la chance d’avoir une mairie écolo assez engagée, et qui organise beaucoup de choses. On vient maintenant nous voir assez facilement pour ce versant-là qui est de moderniser le monde animal. Bâtard c’est le volet de départ, mais nous souhaitons diversifier nos revenus, faire des choses créatives et amusantes autour des chiens, et de mettre en valeur les associations. Nous reversons 1% de notre chiffre d’affaires à YouCare

Julie Manhes : Au début de chaque numéro, vous présenter l’association. Ça vous tient à cœur ?

Emma Guerchon : C’est important de le faire. Ponctuellement, dans l’année, nous reversons aussi des sous à différentes associations pour des achats, mais nous faisons aussi beaucoup de dons de magazines. Sans communiquer dessus, nous imprimons des quantités de magazines en plus pour les associations, les bénévoles, les familles d’accueil, les futurs adoptants. 

” C’est l’idée d’avoir un objet d’art et pop, consacré aux chiens “

Julie Manhes : Pourriez-vous revenir sur le nom du magazine « Bâtard » ? Est-ce que cela a pour volonté d’intégrer tous les chiens, même ceux qui n’ont pas de race ? Est-ce aussi pour le côté un peu provocateur ? 

Emma Guerchon : C’est l’idée. Jusque-là, ce qui se faisait était très lié aux races. On a tendance à mettre des mots précis, en oubliant que les chiens ont tous une personnalité ; il y a bien des caractéristiques physiques qui les déterminent, mais comme pour nous. Ils ont aussi des personnalités : on dit que les cockers sont espiègles, les bergers allemands sont comme-ci, comme-ça. Oui et non, ce n’est pas tout le temps le cas, et ça commence à se prouver, on étudie cela de plus en plus. Nous souhaitions montrer la diversité. Quant à utiliser un mot comme « bâtard », qui est utilisé un peu n’importe comment ces trente dernières années et surtout comme une insulte, on voulait en donner une autre vision. Et maintenant il y a beaucoup de gens qui parlent du magazine et qui ne sont absolument pas choqués par la formule, parce que c’est rentré dans les mœurs.  

Julie Manhes : Vous mettez pourtant en avant une race par numéro ?

Emma Guerchon : On mélange les deux. À la fois une race mise en avant, et à la fois le mot « bâtard ». On ne va pas s’empêcher d’en parler, parce qu’il y a quand même énormément de races de chiens. Parfois on essaye de trouver des chiens qui ne sont vraiment des bâtards en couverture, mais qui représentent une race dont on veut parler. Nous cherchons l’équilibre. 

Bâtard Magazine

Julie Manhes : Pourquoi avoir choisi uniquement les chiens parmi tous les animaux domestiques ? 

Emma Guerchon : C’étaient uniquement les chiens à l’origine, parce qu’on avait une affinité avec le sujet. En tant que rédactrice en chef, je trouve évidemment qu’il y a d’autres sujets très intéressants sur les animaux, mais pas forcément avec autant de choses à dire. Pour que ce soit un objet que les gens aient envie de lire, il faut déterminer une cible. Je pense que nous pourrions très bien avoir une section sur le chat par exemple, dans le magazine. La chose que nous voulions dès le départ, c’était avancer en même temps que la recherche. La recherche en éthologie (étude du comportement animal) dédiée aux chiens est assez récente, elle date d’une trentaine d’années. On ne peut pas aller plus vite que les études, notamment sur les autres animaux. On se laisse aussi du temps pour voir ce qui se fait, voir comment on parle de ces animaux, comment nous les étudions, ce qu’on peut en dire ou non. Il y a des animaux qui sont moins présents dans la pop culture, or depuis des millénaires le chien est là. Le chien était un vrai sujet, malgré une grande sensibilité pour tous les animaux confondus. 

Julie Manhes : À la télévision, il y avait deux reportages sur les chiens. Un sur les animaux de compagnie qui disait pourquoi est-ce que c’est bien d’endormir son chien, et un deuxième reportage qui demandait si on n’en faisait pas trop pour nos animaux. Il y a aussi ce chiffre incroyable qui indique qu’il y a plus de chiens que d’enfants de moins de 12 ans à Barcelone. Il semble y avoir un vrai changement de société dans le rapport aux chiens, dans la place qu’ils occupent, est-ce que c’est quelque chose que vous envisagez, qui est à l’origine de la création de Bâtard ?

Emma Guerchon : C’est sûr qu’il existe un vrai changement, qu’on leur prête plus d’attention. Je pense que globalement les mentalités évoluent et qu’on se rend compte que le chien n’est plus un outil. Les gens ont de plus en plus confiance. Les médias y sont pour quelque chose, notamment dans la démocratisation des recherches. Il y a de plus en plus d’étudiants en éthologie, par rapport à il y a une vingtaine ou même une dizaine d’années. Ça me semble logique de se préoccuper du bien-être animal. Il y a beaucoup d’actions menées par des associations qui gagnent en visibilité, la création récente du parti animaliste, toutes ces manifestations s’incarnent dans le paysage sociétal. 

Les gens se rendent compte que le chien a des besoins, des émotions, que le chien est un membre de la famille à part entière. Ce n’est plus un animal dans son coin qui n’a pas le droit de monter sur le canapé. Malheureusement, nous n’avons pas encore to...