Ces 78 cartes dérivées du jeu à atouts qui animent encore quelques soirées au coin du feu sont passées du statut de babioles occultes à celui de phénomène d’édition. Aussi fascinant qu’incompris, l’objet interroge. Que cachent vraiment leurs arcanes ? La voie du tarot trace peut-être un chemin plus éclairant qu’il n’y paraît.

Le cavalier d’épée, ça vous dit quelque chose ? Si vous l’associez moins à la suite des piques dans les jeux de cartes classiques, qu’à l’élément « air » et aux notions de vitesse, d’intellect, de quête de vérité, c’est sans doute que vous pratiquez, vous aussi, la taromancie.

Pour tous les autres, un bref rappel historique. Les tarots, jeu hérité des Mamelouks qui le devaient peut-être eux-mêmes aux Chinois, ont mis des siècles à trouver leur composition : 78 cartes dont 21 arcanes majeurs – les atouts. Parmi eux, des figures telles que La Papesse, le Pendu, L’Étoile ou la Mort, parfois sans nom et numérotée XIII. S’y ajoutent le « Mat » ou le fou qui a donné le joker, et quatre séries de « mineures » : épées, coupes, bâtons et deniers (pique, cœur, trèfle, carreau). À la Renaissance, ils servent de support d’exposition pour des familles puissantes, dont les Visconti et les Sforza, qui ont donné leur nom à l’un des exemplaires les plus anciens recensés. Puis leur iconographie se fixe, notamment grâce aux maîtres cartiers marseillais.

Quant à l’origine de leur usage divinatoire, elle reste incertaine. Peu avant la Révolution française, un fils de pasteur, Antoine Court de Gébelin, lui invente des sources égyptiennes et le « lance » dans les cercles aristocratiques. Tout au long d’un XIXe siècle féru de mysticisme, le tarot reste entre les mains des occultistes, qui, jaloux de leurs savoirs magiques, s’efforcent de préserver ses « secrets ». Ce qui ne l’empêche pas de se diffuser ni d’évoluer, en particulier outre-Manche sous la plume de l’illustratrice Pamela Coleman-Smith et de l’ésotériste Arthur E. Waite. C’est leur version, plus facile d’accès que celle dite « de Marseille » qui inspire la majorité des jeux qui paraissant de nos jours.

Points d’ancrage au moment présent, les cartes éclairent le passé pour mieux forger un futur désirable.

Miroirs de l’âme

Le nombre d’adeptes aujourd’hui ? Aucune donnée fiable ne permet de l’évaluer. Reste, pour s’en faire une idée, à contempler l’espace qu’occupent depuis 2020 leurs boitiers dans les librairies, rayon ésotérisme, près du « développement personnel ». Ceux-ci accueillent volontiers une forme dérivée, les « oracles », aux visées similaires, mais dont le contenu reste à la libre appréciation des auteurs et des éditeurs, à la différence des tarots qui suivent toujours la même trame.

« Ces cartes sont un langage optique qui exige d’être vu dans toute l’étendue de ses détails », écrit à leur sujet le scénariste, réalisateur et écrivain franco-chilien, Alejandro Jodorowski, farouche tenant des tarots marseillais, dans La Voie du Tarot, co-écrit avec Marianne Costa (2004, Albin Michel). Figure incontournable des tarots contemporains, il écrit aussi à leur propos qu’ils lui ont « apporté de nouvelles manières de saisir le monde et autrui, en laissant l’intuition danser avec la raison ».  

Parmi ses usages, la version « psychologique » remporte un vif succès. Cette méthode de lecture fut détaillée par la Québécoise Denise Roussel dès les années 1980. Le tarot, « miroir de l’âme » se fait outil d’exploration de soi à travers des archétypes, dans un mouvement qui se réclame de la psychologie jungienne.

Ainsi conçu, il sert bien moins à prédire son avenir qu’à « se » lire. Et à s’écrire aussi, puisque le tirage en solo s’associe souvent au « journaling » (la tenue de journaux intimes), parfois à éclairer les lieux sombres de l’âme, dans une œuvre au noir baptisée « shadow work ».

Si les terminologies sont souvent empruntées à l’anglais, cela ne tient pas du hasard, mais de la propension de la tarologie moderne à emprunter les canaux de son époque : les réseaux sociaux. Les observations des sociologues Emmanuelle Guittet (Sorbonne Nouvelle) et Quentin Gilliotte (Panthéon-Assas) sur la cartomancie en ligne confirment une forte féminisation d...