Sur les violences familiales et institutionnelles à travers Gracier la bête et Antoine

J’ai toujours perçu la littérature comme un miroir de nos comportements, capable de révéler les strates invisibles de nos violences sociales les plus enracinées. Parmi elles, les violences faites aux enfants – qu’elles surgissent dans l’intimité familiale ou se cristallisent au cœur des institutions, comme les lieux d’accueil voire la famille, – s’imposent comme une tragédie à portée systémique, gravée dans la mémoire collective et transmise à travers les générations, dans un silence trop souvent complice. Les romans Gracier la bête de Gabrielle Massat et Antoine de Christian Blanchard, que nous allons convoquer, exposent cette réalité, révélant donc la complexité des mécanismes de domination, de silence et de transmission qui perpétuent ces violences.

Dans Antoine, l’enfance du protagoniste est marquée par un climat familial oppressant où la figure du père, Robert, incarne une violence omniprésente. Alcoolisme, jalousie maladive et pulsions destructrices s’entremêlent pour faire de la maison familiale un lieu de terreur. Cette violence, bien que dirigée contre Antoine et sa mère Marie, trouve sa source dans la propre histoire de Robert, lui-même élevé dans un environnement dur et brutal.

Dans Gracier la bête, Gabrielle Massat déplace le regard vers les institutions censées protéger les enfants en danger. Le CDEF (Centre départemental de l’enfance et de la famille), présenté comme un refuge de dernière chance, se révèle être un lieu de relégation, où l’urgence l’emporte sur l’accompagnement, et où les enfants « incasables » sont abandonnés à eux-mêmes.

La littérature est comme un miroir de nos comportements, capable de révéler les strates invisibles de nos violences sociales les plus enracinées.

Huis clos familial, enfermement dans la violence

Dans Antoine, la dynamique familiale illustre un mécanisme central de la sociologie des violences : la reproduction sociale des traumatismes. Pierre Bourdieu parle de « l’habitus » comme un ensemble de dispositions incorporées dans l’enfance, qui orientent durablement les pratiques et les représentations. Chez Robert, la brutalité intériorisée devient un outil de domination, qu’il justifie comme une forme d’éducation virile : « Tu ne seras pas une lavette. S’il le faut, je te dresserai comme un chien. » Mais cette violence n’est pas seulement physique, elle est aussi psychologique et symbolique. Antoine, témoin du viol de sa mère, se retrouve pris dans un conflit de loyauté impossible, la figure paternelle, censée être protectrice, devenant prédatrice. Le roman dévoile donc comment le silence familial, imposé par la peur et la honte, empêche toute libération pour l’enfant victime, témoin statique des violences et des répercussions pérennes de ces dernières.

L’institution : un espace de relégation plus que de protection

Dans Gracier la bête, l’autrice dépeint un système saturé, dysfonctionnel du fait du manque de moyens et de formation transforme les éducateurs en rouages d’une machine froide et déshumanisante. Les violences institutionnelles, qu’elles soient physiques ou structurelles, aggravent les traumatismes des enfants qui, après avoir été rejetés par leur famille, se retrouvent confrontés à un environnement hostile et impersonnel.

Le personnage d’Audrey, adolescente fugueuse et désespérée, illustre l’échec de cette structure : « Elle n’était qu’un numéro, une charge à gérer jusqu’à sa majorité. » Massat pointe ici un enjeu central des politiques publiques de protection de l’enfance : comment transformer un système de gestion en un véritable espace de reconstruction ? Car, comme dans la famille d’A...