ENQUÊTE. Quand l’écrivain Aymeric Patricot a décidé d’explorer le thème de l’accompagnement sexuel pour handicapés, il est presque parti de zéro. Hollywood est douée pour s’emparer des sujets sensibles mais, à côté, les Français paraissent bien timorés. De ce côté de l’Atlantique, il n’existait pas de fiction sur les gens qui s’offrent pour apaiser le mal-être de personnes handicapées. Altruisme ? Prostitution ? Il n’en fallait pas davantage pour aiguiser sa curiosité. Il nous raconte son enquête pour écrire La Viveuse (Léo Scheer, 2022), entre dolorisme et érotisme chic.

Depuis dix ans, je rêvais d’écrire sur l’accompagnement sexuel. Je ne connaissais pas de personne handicapée, je ne fréquentais pas de prostituées, mais j’avais toujours eu en tête cette image d’une femme surmontant son dégoût par un acte d’amour. On me le déconseillait : trop glauque, trop bizarre… Je m’y suis décidé lorsque la France s’est entichée de la mode américaine du Care.

Par où commencer ? J’avais un titre, La Viveuse. J’avais un personnage en tête, une jeune femme en difficulté, par ailleurs dégourdie. Il me restait à dresser le décor. Pour cela, j’ai pris contact avec une association œuvrant pour la reconnaissance de cette activité.  Une dénommée Josyane m’a proposé qu’on se rencontre, trop heureuse qu’un écrivain s’intéresse à elle.

J’ai vu venir une petite femme de l’âge de ma mère, accompagnée d’un caniche. Je n’avais pas imaginé ma viveuse sous les traits d’une femme mûre au joli carré blond, au nez de caractère et au sourire doux. Ses bottines, son cardigan, son collier de perles ne rendaient pas justice à une silhouette un peu courbée mais toujours expressive.

Elle me raconta d’une voix grave, agréablement rocailleuse, tout ce que je voulais savoir : son absence de pudeur, son goût pour l’amour physique, sa bienveillance, autant de raisons qui l’avaient incitée à démissionner de son poste de conseiller bancaire.

« Je rencontre les clients une première fois. Je veux m’assurer qu’ils aient la bonne attitude. C’est important qu’ils me respectent. Au début, ils ont du mal à comprendre que ce ne sera pas comme dans un film. Il y aura surtout de la douceur. Et je retrouve en eux les garçons en manque d’amour. Je les aide à devenir des hommes. En les touchant, je leur prouve qu’ils existent ! »

Josyane n’avait pas la beauté corrosive de ma viveuse mais elle partageait ses convictions, sa capacité à voir au-delà des corps, au-delà des souffrances. Je glissai quelques références à François de Sales, mystique dont j’aimais les notions de pur amour, de fine pointe de l’esprit, de joie surabondante.

« Je pourrai t’accompagner à un de tes rendez-vous ?

— Pourquoi pas… Il faudra que je demande à Vincent, le garçon que je vois en ce moment. Il est amoureux de moi, je ne sais pas s’il acceptera… Il faudra y aller par étapes. »

En écoutant Josyane, je me disais qu’il n’y avait aucune raison d’empêcher des femmes d’offrir des prestations à des hommes qui, sans cela, vivraient un isolement délétère. Elle était consentante, elle y trouvait une raison de vivre. Mais les vents contraires étaient puissants. En France, une majorité de politiques évacuaient le débat sous prétexte que l’accompagnement sexuel était une forme de prostitution. Or, dans ce domaine, le pays misait sur la répression. Le prétexte était qu’il existait des réseaux d’exploitation. Ce faisant, on reléguait l’ensemble des travailleurs dans l’ombre. Tout le monde ou presque s’accordait à dire que la loi criminalisant la clientèle avait aggravé la situation des prostitués.

En attendant que Josyane m’autorise à la suivre, je me suis préparé. Je devais trouver le ton d’un érotisme savant. Je suis par exemple entré dans le théâtre Chochotte, rue Saint-André-des-Arts. Passé le joli panneau, les shows se succédaient avec une régularité diabolique : chaque demi-heure, une actrice déclamait un texte, jouait la comédie, s’effeuillait. C’était ça, le burlesque ! Des simagrées, des contorsions, des piques verbales, des croupes qui claquent. Ça n’était plus les coups de bâtons mais les astiquages. Version soft des passes, mondes cousins du spectacle et de la prostitution… Mieux valait en rire ! Je tenais la formule qui présiderait à mon écriture : une structure ciselée, des détails crus, une dimension sociale, une bonne dose d’amusement.

J’approchais l’œil du cyclone. Pourtant, je n’avais pas encore le courage de mater du porno pour handicapés. Bloqué dans l’antichambre du burlesque, je ne me faisais pas aux noces de Cronenberg et de Marylin Jess. J’avais beau croire en la fusion des âmes, quelque chose me rebutait dans le spectacle d’un corps blessé. Mon désir s’éteignait. Aurais-je le courage d’accompagner Josyane ?

Heureusement, je ...