Jennifer Kerner, romancière et paléontologue, nous propose de mettre en perspective le yoga, une pratique moins innocente qu’il n’y paraît. Entre gurus new âge, capitalisme vertueux et néo-sorcellerie, le yoga peut effectivement nous mettre la tête à l’envers !
– C’est un scandale !
Une maman d’élève parfaitement banale – cernes sous les yeux, jeans taille haute, fesses qui débordent de la chaise lilliputienne pour Moyennes Sections – se révolte :
– Je ne mets pas ma fille dans un établissement catholique pour qu’on lui fasse faire le chien-tête-en-bas à la gloire des démons de l’hindouisme !
Voilà que la réunion barbante prend une tournure cocasse. En essayant de faire le moins de bruit possible, je me marre, pliée en deux sur mon tabouret Peppa Pig. Ces cathos, ce qu’ils peuvent être réac’ ! Comment une simple pratique corporelle pourrait-elle gangrener l’esprit d’une gamine de 3 ans ? Pourquoi avoir si peur du yoga ?
En rentrant à la maison, par acquit de conscience, je fais quelques recherches. Deux heures plus tard, j’apprends que plusieurs associations de victimes des mouvements sectaires (et la Ligue des Droits de l’Homme elle-même !) ont fait plier l’Éducation Nationale : le yoga n’est pas totalement interdit, mais sa pratique n’est plus encouragée au sein des établissements scolaires publics. Je prends une claque… Et un calepin dont les pages n’en finissent pas de se noircir de faits improbables.
Si l’on en croit une source iconographique douteuse, le yoga apparaît au troisième millénaire avant J.-C (D. L. Chakrabarti, The archaeology of Hinduism, 2001). Si l’on s’en tient aux textes, il émerge autour de -200. Le yoga consiste en une adoration des divinités de l’hindouisme grâce au mouvement, comme le souligne la « shiva samhita », écrite au XVIIe siècle.
Mais ce yoga-là ne ressemble pas à celui que l’on enseigne à nos enfants. Car, au XIXe siècle, des gurus venus vivre le rêve américain édulcorent leurs contorsions mystiques pour les rendre désirables à Hollywood. Le yoga moderne n’ambitionne plus de dissoudre le méditant dans l’Univers pour lui éviter de se réincarner. Il vise à la maîtrise de l’émotion pour performer dans une société capitaliste. Il s’agit de rester « zen » sous la pression de la productivité, tout en se sculptant un cul d’enfer. On conserve pourtant quelques asanas très traditionnelles, comme celle du guerrier : Virabhadrassana. J’apprends au passage que cet ensemble de postures rejoue la décapitation de Ganesh par son père, Shiva. En imaginant mon gosse mimer un infanticide, j’avoue que je fais un peu moins la maline. Mais bon, tout ça, ce sont de vieilles histoires. Et si tu n’y crois pas, ça ne « marche » pas. Mon fils ne risque pas de tomber en extase mystique après 10 minutes passées dans la posture du pigeon.
« FAUX ! » clame le psychiatre Lee Sannella, expert des épisodes délirants crées par la pratique du yoga kundalini. Ce docteur a même ouvert une clinique pour étudier les manifestations « pseudo-psychotiques » spécifiques aux yogis. Après plusieurs décennies de recherche, il affirme que ces derniers perdent le contact avec le réel à cause d’une « ouverture spirituelle » trop brutale. Gustav C. Jung lui-même avait observé ces phénomènes mystiques, sans parvenir à trouver d’explications purement médicales.
Voilà qui constitue une grande ironie karmique. Car si la promesse du yoga est bien de se couper de ses soucis quotidiens, le but n’est pas de perdre la mémoire et le sens du réel. Les auteurs de ces études alarmantes ont beau avoir pignon sur rue, leurs données me laissent sceptique. Le yoga pourrait-il vraiment marcher « trop bien » ?
Peut-être. Car ses effets sur l...