C’est Sébastien Wojdan, l’un des fondateurs du Galapiat Cirque, qui ouvrait avec finesse le bal de cette nouvelle saison du Monfort Théâtre – rebaptisé Théâtre Silvia Monfort à l’occasion de sa nouvelle codirection assurée par Ninon Leclère et Jean-Baptiste Pasquier. Avec Blanc, Sébastien Wojdan nous ouvre les portes d’un atelier presque immaculé, où tout est toujours sur le point de tomber : les objets, le corps, les mots, les gestes, le désir, l’existence… Dans cet équilibre précaire, l’artiste aux multiples casquettes dessine un autoportrait abrupt et bouleversant.

Défi de soi

Ce seul-en-scène de Sébastien Wojdan s’ouvre sur une phrase du peintre Kandinsky : « Le blanc agit sur notre âme comme un silence, un rien avant tout commencement. » En sueur, le performeur entre sur scène en courant après une (vraie) course de 10 kilomètres et se déshabille au milieu de cet étrange espace de vie où tout est blanc. C’est un endroit où, comme le définit Kandinsky, le silence semble retentir, comme le calme avant la tempête. Dans ces murs rafistolés, ces mannequins en polystyrène et cette cuvette de toilettes, on imagine des centaines de cris enfermés.

Sébastien Wojdan crée ici un monde d’équilibre et de fragilité où rien n’est jamais vraiment acquis.

Sébastien Wojdan se livre devant nous à une méticuleuse inspection de sa propre performativité : après avoir inscrit au mur ses mesures (pouls, taille, poids, tour de tête, tour de taille…), il débute, sans un mot, son championnat personnel. Tous les objets de cet atelier deviennent les outils d’un dépassement de soi : il manipule, envoie, lance, fait tomber puis rattrape des dizaines d’objets allant des tasses à café aux couteaux en passant par des cigarettes. Il y a du clown et une vraie poésie dans la manipulation de ces objets qui, extraits de la banalité de leurs usages, restent soumis à une forme de précarité, car dépendants du « succès » de leur manipulateur. Sébastien Wojdan crée ici un monde d’équilibre et de fragilité où rien n’est jamais vraiment acquis.

Pitoyables héros

© Jean-Claude Leblanc

Au milieu de ce blanc, tout est contrasté : il y a des absurdités, des incohérences visuelles… Et puis les mots magiques de Kae Tempest, extraits des Nouveaux Anciens : « Les dieux sont au PMU, les dieux sont au café […] les dieux sont nés, ils vivent un temps et puis ils vont mourir ». Le regard droit et la voix neutre, Sébastien Wojdan nous raconte avec calme les plus grands contrastes de l’être humain, perdu entre « le pitoyable » et « l’héroïque ». Ces mots nous parviennent avec force, de la bouche d’un homme qui nous a murmuré son secret : celui d’une hypocondrie et d’une boulimie qui lui collent à la peau.
La réponse qu’il a trouvée, ou du moins la mise en sourdine de cette cacophonie intérieure, c’est la course. Par la projection vidéo, on entre dans cet exercice quotidien qu’il s’inflige depuis plus de vingt ans, sport détesté mais expiatoire. Il y a de l’humour, toujours, mais aussi une grande mélancolie : Sébastien Wojdan nous rend témoins de son éternel besoin de dépassement, et de la fine frontière entre l’extase et la folie.

La dernière chute

Le spectacle repose sur un crescendo subtil et sensible vers la violence mais aussi vers la libération. Le regard s’assombrit, le corps se marque, les objets changent : il y a des couteaux-papillons, des flèches d’arc, des clous… Le polystyrène se transperce et les cœurs s’ouvrent. On rit de moins en moins face à ce clown et la gravité de son existence. La musique prend de plus en plus de place, tout comme cet étrange carré rouge qui grandit sur le mur blanc. La reprise de Bohemian Rhapsody au clavecin laisse la place à la guitare électrique et aux sonorités techno : le grondement monte, apocalyptique mais libérateur.

C’est un effondrement salvateur, une catastrophe qu’on attend parfois pour avoir la preuve d’être vivant·e.

Dans un final que l’on ne doit pas trop dévoiler, Sébastien Wojdan atteint un état de transe qui laisse sans voix. Dans la fureur et la tempête, il trouve une délivrance, contrastant avec le blanc silence. C’est un effondrement salvateur, une catastrophe qu’on attend parfois pour avoir la preuve d’être vivant·e. Une destruction pour une renaissance, dans une très impressionnante physicalité et une sensibilité qui ne laissent pas de marbre.

Blanc est un spectacle qui marque parce qu’il ne triche pas. Sébastien Wojdan bouleverse avec un simple mot, un regard ou un geste. Il nous parle de lui comme il nous parle d’une humanité, et décortique avec finesse les contrastes de son âme et de toutes les autres. Il nous murmure ses plus grandes angoisses et les expie à l’aide de ses multiples talents de jongleur, acrobate, équilibriste, bricoleur, musicien… On traverse avec lui ces chemins de croix, où, étonnante et subversive, la délicatesse se fraye un chemin entre les névroses.

  • Blanc, conçu et interprété par Sébastien Wojdan, avec les regards extérieurs de Bauke Lievens, Félicien Graugnard, Federico Robledo et Chloé Derrouaz, jusqu’au 30 septembre 2023 au Théâtre Silvia Monfort (Paris).

Crédit photo : © Jean-Claude Leblanc