Athos et Dreifa dans La stratégie de l'araignée
Athos et Dreifa dans La stratégie de l’araignée

La Cinémathèque de Paris a ouvert hier sa rétrospective Bertolucci avec la projection de La stratégie de l’araignée, un film tragi-comique à suspense dans un village rural de Lombardie. Retour sur l’oeuvre. 

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1969

La stratégie de l’araignée s’ouvre sur une toute petite gare, où arrive un tout petit train. En descendent deux personnes : un marin dégingandé et un civil propre sur lui. Le premier, à la démarche chaloupée, porte nonchalamment son sac sur l’épaule. Le second, droit comme un i, tient fermement une valise à la main. Le spectateur attend avidement la rencontre entre les deux personnages : que peuvent bien avoir à se dire deux hommes si différents ?

Elle n’aura pas lieu. Dès le début,Bernardo Bertolucci nous mène sur une fausse piste. Les habitants vont suivre le même chemin avec l’homme à la valise, le héros, dont nous allons emboîter le pas.

Bousculer le présent

Pour son quatrième long-métrage sorti en 1969, Bertolucci crée une intrigue en huis-clos dans le petit village de Tara, en Lombardie. Le temps semble s’y être arrêté. Seul le train le relie au reste du monde, et encore… « Des fois, ils oublient qu’on existe » affirme le chef de gare. En débarquant dans ces jolies ruelles, Athos Magnani rajeunit considérablement la moyenne d’âge et bouleverse les habitudes. Tel un courant d’air, il dérange, agace, perturbe le ronronnement monotone de la campagne lombarde.

Le jeune homme cherche la vérité sur son père, au même patronyme que lui, farouche militant anti-fasciste. Qui l’a assassiné dans le théâtre de Tara, le 15 juin 1936 alors que l’on jouait l’opéra Rigoletto de Verdi ? Les « chemises noires » fidèles à Mussolini ont été désignées d’office, comme l’indique la plaque sous le buste de pierre de Magnani-père qui trône au milieu de la place du village. Mais cela ne donne pas le nom du meurtrier qui tenait le pistolet. Magnani-fils va donc redéployer la toile du passé et tendre les fils entre les protagonistes des événements afin de trouver le coupable.

Vieux fous

Dreifa, l’ancienne maîtresse de son père, semble être son alliée. C’est d’ailleurs elle qui l’a invité à soulever le voile du passé. Gaibazzi, Costa et Rasori, trois vieux Italiens expansifs, étaient les seuls amis du militant au foulard rouge. Athos Magnani va devoir démêler leurs dires, tout en évitant la fureur des autres habitants de Tara, tous des ennemis de son père, qui n’ont de cesse de l’intimider. « C’est une ville de fous. De vieux et de vieux fous ! » se plaint-il.

La stratégie de l’araignée mêle présent et passé, amis et ennemis, traîtrise et héroïsme

Bernardo Bertolucci maintiendra le suspense jusqu’au bout, sans pour autant créer un état d’angoisse insupportable propre au thriller. Inspiré du Thème du traître et du héros, une nouvelle de Jorge Luis Borges publiée dans FictionsLa stratégie de l’araignée mêle présent et passé, amis et ennemis, traîtrise et héroïsme, en suscitant la curiosité et l’attachement envers ce jeune brun aux yeux bleus à la recherche de ses racines.

Mise en abyme

Si le réalisateur évite le trop-plein de pression et de nervosité, c’est parce qu’il s’amuse en multipliant les références. Rigoletto est utilisé comme un chant funèbre. Tel un drame italien, l’assassinat est grandiose et ajusté à l’opéra de Verdi : à la suite du hurlement de « Maledizione » de Rigoletto, le tireur appuie discrètement sur la détente, protégé par les applaudissements de la foule.

Bertolucci invite d’autres personnages historiques à se mêler à la fête. Son prénom rappelle évidemment le mousquetaire Athos, né sous la plume d’Alexandre Dumas. Comme pourJules Cesar, on retrouve sur le cadavre d’Athos Magnani une lettre lui annonçant la conspiration. Une conspiration qui rappelle celle d’Hernani imaginée par Victor Hugo, comme l’évoque l’un des amis du défunt. D’ailleurs, tel Macbeth, on lui avait prédit un sombre avenir… Enfin, son ancienne maîtresse elle, s’appelle Dreifa car son père s’était entiché d’Alfred Dreyfus

Et au-delà des références plus ou moins sérieuses, certaines scènes regroupant les vieux Italiens de Tara sont  franchement cocasses.

La stratégie de l’araignée mêle donc habilement suspense et rires, bons acteurs et jolis paysages lombards, toujours parfaitement cadrés par la caméra du réalisateur. Un film qui donne envie de (re)découvrir le reste de la filmographie de Bernardo Bertolucci.

  • La stratégie de l’araignée, Bernardo Bertolucci – 1969
  • La rétrospective Bertolucci à la Cinémathèque de Paris dure jusqu’au 13 octobre 2013.
  • Après trois ans d’insistance, le réalisateur italien a accepté l’invitation et sera présent dans la capitale. Il donnera une leçon de cinéma le samedi 14 septembre, à la suite de la projection du Conformiste (1969). Il sera également présent à la même date, pour la projection en avant-première du Dernier Empereur en 3D (1986), et le lundi 16 septembre pour l’avant-première de Moi et Toi, son dernier film.
  • La stratégie de l’araignée sera rediffusé le samedi 12 octobre.
  • Le programme complet est disponible sur le site de la Cinémathèque.