Dans Chienne de rougequi relève à la fois du documentaire et de l’autoportrait, Yamina Zoutat file une métaphore à partir du scandale du sang contaminé qui éclate en 1991. Suggestif, le film mêle les régimes d’images et les voix proches ou lointaines qui proviennent d’une mémoire traumatique commune.
Dès l’ouverture, la cinéaste raconte en voix-off comment le film est né, un beau matin, d’un désir impérieux : celui de filmer le sang. Yamina Zoutat était chroniqueuse judiciaire au moment du procès du sang contaminé qui s’ouvre à la Cour de Justice de la République en 1999. Cette réminiscence est le point de départ de son enquête. L’affaire met en cause les responsables de l’État, personnels administratifs et médicaux dans l’infection par transfusion sanguine de plusieurs centaines de personnes. Un manquement, une négligence (selon le vocable euphémistique habituel) qui ont causé le décès de victimes pour lesquelles les familles réclament désespérément justice. Ce scandale politique et institutionnel a pour toile de fond l’apparition de l’épidémie du sida. Zoutat assiste, désemparée, à la confiscation politicienne du récit des victimes sans que la culpabilité du gouvernement français ne soit établie. Une image saisissante, une marque indélébile motive l’ensemble du projet cinématographique : celle d’une assemblée d’hommes engoncés dans leurs certitudes qui prennent place autour de la grande tablée de la Cour de Justice et qui ne seront jamais inquiétés. C’est à partir de ce souvenir que la cinéaste tisse les liens du sang et crée un réseau d’images en arborescence. Elle se compare elle-même à un chien de chasse qui flaire une piste. « En fait, tu es comme une chienne de sang », lui dit une amie à qui elle décrit son entreprise artistique. On la voit marcher aux côtés de la bête dans la forêt, mais aussi dans les rues de Paris où elle a toujours vécu, traquant les images manquantes avec une caméra embarquée et les bribes de récit, à l’affût de témoignages et d’éléments de réponse.
Le sang sale
En recouvrant la mémoire génétique et symbolique, Zoutat remonte la chaîne des causes qui expliquent son inclinaison à faire du sang un sujet de cinéma. Une seconde image frappante, inconvenante pour d’autres raisons cette fois, apparaît alors : au-dessus des toilettes d’un train en marche, un sexe féminin d’où s’écoule le sang visqueux des menstruations. La scène est longue, le plan rapproché, et nous sommes placés dans une position de voyeur. Le sang, contaminé ou pas, renvoie à la souillure et, par extension, à une féminité entachée, pécheresse. C’est à ce moment-là que Zoutat reprend ...