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Amour et dĂ©pendance, dĂ©sir et soumission, sexe et solitude
 Pour son septiĂšme roman, fidĂšlement publiĂ© au Diable Vauvert, Nicolas Rey poursuit l’écriture des obsessions et des lĂąchetĂ©s contemporaines, avec son style hard boy dynamitĂ© par une mĂ©lancolie inconsolable. Éternel garçon pris dans le piĂšge du temps, Nicolas Rey ne se refait pas : Les Enfants qui mentent n’iront pas au paradisest un roman Ă  la fois sec et tendre, acerbe et doux, avançant par des Ă -coups assurĂ©s comme une vieille Mini qui a vu du pays, et qui tient pourtant encore bien la route. Le trajet peut paraĂźtre dĂ©routant mais la frĂ©nĂ©sie primitive, elle, reste intacte.

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Gabriel a maintenant quarante ans. Et il est toujours en vie. Il est de la mĂȘme trempe que ceux que l’on croise des annĂ©es plus tard et qui subisse cette malheureuse phrase rĂ©servĂ©e Ă  ceux dont la fin de l’adolescence a Ă©tĂ© Ă©pique : « Alors, tu es toujours vivant ? » Gabriel est de ceux-là : toujours revenu de tout mais n’en dĂ©mord pas avec la mauvaise vie telle qu’elle est aujourd’hui. Quant Ă  son auteur, on sait dĂ©jĂ  depuis longtemps que Nicolas Rey a le sens de la formule qui frappe lĂ  oĂč ça fait du bien, il persiste et signe : « Il s’observe face Ă  la vitre. Quarante ans dans ta face. T’avais rien vu venir. Tu as toute ta vie devant toi et toute ta vie derriĂšre. (
) Il faut filer droit : se marier, acheter une voiture Ă  crĂ©dit, faire des gosses, travailler et partir en vacances. Nous sommes fliquĂ©s de partout. MĂȘme la nonchalance a mauvaise presse. » (pages 13 et 15)

Seulement, Gabriel est aussi pĂšre de famille. Il doit ĂȘtre Ă  l’heure Ă  seize-heure trente devant l’école de son fils et assister aux rĂ©unions parents-professeurs. Le temps a raison de tout, ce qui l’amĂšne nĂ©anmoins Ă  rencontrer Catherine, l’institutrice qui Ă©duque son fils, qui a la cinquantaine avec des airs de Sigourney Weaver, mĂšre seule avec trois enfants Ă  charge, qui gĂšre un petit business de dĂ©guisements de soirĂ©es livrĂ©s la nuit Ă  domicile, et milite au Parti National. Voyez y la transposition littĂ©raire du Front National, et comprenez que pour notre protagoniste qui a le cƓur Ă  gauche, l’affaire est compliquĂ©e.

Liaison dangereuse

La fleur au fusil, Gabriel s’engage dans cette liaison dangereuse en acceptant tout, voue Ă  Catherine une obĂ©issance inconditionnelle d’enfant de chƓur qui se rend en confesse chez un prĂȘtre libidineux. La comparaison est faible : Catherine est une scato-sado-masochiste qui en redemande, et exige de la part de Gabriel un engagement total, et cela jusqu’à adhĂ©rer Ă  son engagement politique extrĂȘmiste. Il y a lĂ  tout un systĂšme de comportements qui ne lui est pas Ă©vident Ă  assimiler, loin s’en faut, comme les sĂ©ances de soumission-domination sexuelle (pour exemple Gabriel doit fricoter avec tout un milieu d’hĂ©tero-beaufs boostĂ©s par la frustration). Le chapitre, trĂšs court (comme tous les autres) consacrĂ© Ă  une soirĂ©e poker est dĂ©licieux de par son rĂ©alisme vomitif : Gabriel subit les rĂ©pliques de Catherine, telles que « T’avais un deux et un sept, on ne monte jamais avec un dĂ©partement, connard » ; ou encore, celles des amis de Catherine, « Mais tu fais quoi dans la vie, de quelle planĂšte tu viens, t’es pris en charge par la SĂ©curitĂ© Sociale Ă  100% ? Putain, t’avais une paire de trois. Avec une paire de trois, tu pouvais relancer parce que si tu trouves ton flop, t’es invisible. » (page 78). CĂŽtĂ© culture, Catherine s’en tient Ă  suivre les Ă©vĂ©nements et Ă  aller dans les lieux pour bobos, afin de se croire cultivĂ©e. Mais, sous l’apparence de la parfaite superficialitĂ©, c’est toujours la vĂ©ritĂ© la plus nue qui se dĂ©voile : « Le carnaval, c’est le superficiel qui prend le dessus. C’est l’apparence qui devient source de vĂ©ritĂ©. VoilĂ  la clef, mon cher Gabriel. On a tous quelque chose Ă  cacher et quelque chose Ă  montrer. (
) Peut-ĂȘtre Ă  cause de ce scandale : la vĂ©ritĂ© obtenue Ă  travers un mensonge est plus vraie que nature. » (page 90)

Ça y est, Gabriel est pris dans les mailles de Catherine, dĂ©pendant de sa prĂ©sence prĂšs de lui et obsĂ©dĂ© par elle quand elle n’est pas avec lui. Bref, « louĂ© jusqu’au mois d’aoĂ»t » comme l’écrit Rimbaud. Soit le seul et unique moment propice Ă  la douche froide : jusque-lĂ , Gabriel acceptait tout sans trop se salir les mains dans la politique, il n’en reste que cette vĂ©ritĂ© terrible vient le rappeler Ă  l’ordre, mĂȘme l’amour est politique. Jeux de pouvoir, rapports de force, concurrence des influences : on est Ă  l’ùre du lobbying sentimental. Autrement dit, Catherine l’accule au pied du mur et c’est maintenant le tout pour le tout, si Gabriel n’adhĂšre pas Ă  l’extrĂȘme-droite, il doit rejoindre la vie sans elle. À la guerre comme Ă  la guerre, Gabriel va mener Ă  bien une derniĂšre longue virĂ©e inconsĂ©quente, comme l’on boit la derniĂšre goutte de la bouteille de champagne qui vous a accompagnĂ©e durant votre derniĂšre nuit d’homme libre : des soirĂ©es parisiennes dĂ©cadentes aux baisers sur la bouche des vieilles dans les salons du livre, tout y passe.

Beauté des gueules cassées

Si Nicolas Rey reste fidĂšle Ă  son Ă©criture nerveuse, Ă  vif, agaçant parfois par la briĂšvetĂ© de ses chapitres, il garde la beautĂ© des gueules cassĂ©es que l’on ne peut rĂ©sister de prendre dans ses bras. On aurait envie, dans le mĂȘme geste, de le prendre par les Ă©paules, le secouer et lui crier : La littĂ©rature, ce n’est pas qu’un enchaĂźnement de phrases habiles, c’est aussi une sĂ©rie de pages qui crĂ©e un univers que l’on connaĂźt dĂ©jĂ  mais que l’on n’a jamais vu dans les yeux.

L’univers de l’écriture de Nicolas Rey est elliptique : les chapitres ne rĂ©sonnent entre eux qu’à travers un travail de reconstitution des situations et des caractĂšres qui est Ă  la charge du lecteur.

L’univers de l’écriture de Nicolas Rey est elliptique : les chapitres ne rĂ©sonnent entre eux qu’à travers un travail de reconstitution des situations et des caractĂšres qui est Ă  la charge du lecteur. Cela ressemble en tout et pour tout Ă  l’hystĂ©rie des premiers films des jeunes cinĂ©astes parisiens oĂč le spectateur fait de son mieux pour recoller les morceaux des sĂ©quences et des personnages. À la diffĂ©rence, ici, que les rĂ©pliques chez Nicolas Rey ne sont jamais prĂ©visibles. Les pages ne sont pas noircies, mais ses phrases sont d’une clartĂ© dĂ©sinvolte, iconoclaste, unique : la grĂące d’un diable bienveillant. On est quelque part entre un Olivier Adam Ă©pileptique et un Arnaud Catherine punk. Une sorte d’Education sentimentale inversĂ©e : ce n’est plus FrĂ©dĂ©ric Moreau qui utilise les femmes pour rĂ©ussir sa carriĂšre, mais ici Gabriel Salin qui emploie tous les moyens possibles pour conquĂ©rir une femme.

Quant Ă  la poĂ©sie, Nicolas Rey nous rappelle qu’elle se dĂ©niche aux interstices obscurs et insaisissables des voix interdites qui se dĂ©ploient au grand jour dans une lumiĂšre retentissante : « C’est une histoire universelle. Il y a un passĂ©, un destin, des rencontres et un jour, dĂ©barque l’autre, Ă  savoir l’amour d’une vie. On ne sait pas trop ce qui vient de nous tomber sur le coin du crĂąne mais tout devient d’une extrĂȘme fluiditĂ©. DĂšs le premier jour, dĂšs la premiĂšre minute, on dialogue sans avoir besoin de se parler. On la regarde. On se dit : « C’est bien d’avoir tenu le coup jusqu’à cet instant-lĂ . » Elle arrive vers vous avec sa grande Ă©charpe. Elle sourit dĂ©jĂ . Sans le savoir, elle vient, elle aussi, de trouver son point d’équilibre. Celui que vous cherchiez Ă  l’aube des nuits grises et pleines de cendres. Et c’est l’unique raison pour laquelle un homme s’est donnĂ© le mal de vivre, chĂšre Catherine. » (page 123)