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Surfant sur la vague des seuls-en-scène qui fleurissent les salles d’Avignon et d’ailleurs, la compagnie Mmm tire son épingle du jeu avec un spectacle étonnant, réjouissant malgré son sujet délicat, et porté par l’énergie solaire de son interprète.

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La jeune comédienne Marie-Magdeleine se rend dans une association pour usagers bipolaires, le G.R.A.I.N. – Groupe de Réhabilitation Après un Internement ou N’importe – pour donner un atelier de théâtre. Au même titre que les activités aviron et barbecue, le théâtre vient accompagner les diverses tentatives de sa gérante, la séduisante Sophie, pour proposer d’autres voies d’expression et d’intégration que le Prozac et l’éther à ceux que la société qualifie d’anormaux. Mais attention, nul apitoiement dans l’écriture de Marie-Magdeleine et Julien Marot : nos fous sont tous campés très fermement par la comédienne, hauts en couleur, et plein d’une lucidité qui nous frappe parfois comme une gifle.

Théâtre et folie

Plane ici la vieille angoisse de la folie, cette impuissance d’être déclaré fou par d’autres et que tout notre comportement vienne ensuite justifier ce diagnostic, sans plus pouvoir sortir de ce cercle vicieux ; et plus encore, la tendance générale actuelle à tout considérer comme une maladie dès qu’un tempérament un peu original se manifeste : goût pour le déguisement non approprié, timidité extrême, affabulation ou mélancolie chronique… Mais ici nous sommes au théâtre, et comme nous le rappellent subtilement les quelques allusions au monde de l’art – le regard de Schumann, épinglé sur le mur du « préfa », l’oreille coupée de Van Gogh ou les extraits sur le thème des Folies d’Espagne qui rythment le spectacle – la folie dans la création est partout, sous ses formes les plus terribles et les plus belles. Au fond, ne faut-il pas avoir un « grain » pour, comme Marie-Magdeleine, mimer cinq personnages à la fois perdus en pleine impro animalière tout en maintenant le fil d’un appel téléphonique avec le psychiatre à qui Sophie explique que non, non, ils ne sont pas en crise, ils sont juste en train de faire du théâtre ? Sans appuyer ou souligner le parallèle, l’écriture nous offre de ces moments de grâce que seul le théâtre permet, quand l’espace de la scène devient espace de liberté absolue où Christian peut être Christiane si ça lui chante, où l’on peut être hérisson ou aigle royal, sans se voir pour cela assommé de médicaments.

On oublie assez rapidement que la comédienne est seule au plateau : en un geste, chacun se dessine, et elle réussit la performance émouvante de faire se déployer plusieurs corps dans l’espace en simultané, par l’énergie et la précision du mouvement

Une photo de famille

Le spectacle réussit surtout par la caractérisation très forte des personnages gravitant autour de Marie-Magdeleine, qui comme souvent dans cette forme auto-fictive des seuls-en-scène se dessine en creux. Observatrice de ces personnalités blessées, émotives, bruyantes, rapides à s’ouvrir et à se raconter, impudiques, extrêmes et surtout extrêmement attachantes, elle est vite embarquée – et nous avec elle – dans cette belle bande de bras cassés pour qui elle est en quelques heures devenue « la famille ». On oublie assez rapidement que la comédienne est seule au plateau : en un geste, chacun se dessine, et elle réussit la performance émouvante de faire se déployer plusieurs corps dans l’espace en simultané, par l’énergie et la précision du mouvement. Le rythme ne se relâche quasiment jamais, et le plateau nu prêt à tous les imaginaires se peuple peu à peu sous nos yeux de cette galerie de paumés râleurs qu’on s’étonne de ne pas voir saluer avec la comédienne à la fin du spectacle… Cette forme singulière d’écriture du seul-en-scène, qui possède bien sûr ses écueils, trouve ici dans son sujet un certain écho : donner la voix à ceux qu’on n’écoute pas, aux bizarres, ceux qu’on relègue dans des préfabriqués à côté du cimetière, et parfois aussi rappeler quelques fantômes.  On souhaite bon vent à ce joli spectacle jamais larmoyant ni donneur de leçons.

  • G.R.A.I.N., histoire de fous, spectacle écrit et joué par Marie-Magdeleine, co-écrit et mis-en-scène par Julien Marot, Compagnie Mmm – à la Manufacture des Abbesses jusqu’au 31 décembre 2019