(c) Jean-Louis Fernandez

Au Théâtre de la Cité internationale, les jeunes compagnies sortant d’école nationale s’essaient à leurs premières créations. Zone Critique a suivi aujourd’hui Daphné Biiga Nwanak et son texte Lecture américaine.

On attend constamment que la pièce commence.

Lecture américaine porte effectivement bien son nom : de texte nous sommes submergés dès l’ouverture, sur la grande scène de la Coupole limitée à une bande de plateau devant le rideau tiré. Un homme vient nous dire-lire un genre de lettre, la lettre d’une femme dans une chambre d’hôtel à New York, la nuit. La femme qu’on devine à l’origine de ce texte mêle ses émotions avec les projections de cette ville de cinéma, cette ville de tous les possibles que le monde a rêvée et reconstruite cent fois. Mais si le propos est séduisant et la langue belle, très vite je me suis rendu compte qu’il me serait très difficile d’adhérer au dispositif scénique. Les lettres se succèdent, l’incarnation est volontairement floue et mélange les réflexions sur New York, sur le métier de comédienne, les deuils familiaux, l’amour, les projections d’inconnue.s qui arpentent la ville et les souvenirs de films qui hantent chacune des rues si photogéniques. Mais si certains mots accrochent, le plateau ne répond pas à la langue avec la même ferveur. Lus, ces mots auraient gardé leur puissance ; dans cette incarnation en demi-teinte, on attend constamment que la pièce commence.

On reste extérieur.es à cette parole qui circule devant nous

Une rêverie ne suffit pas. Ou du moins, le plateau réclame quelque chose de plus que cette parole qui flotte jusqu’à nous sans jamais préciser ses contours, sans jamais nous prendre par la main. Daphné Biiga Nwanak livre une performance plutôt habitée, mais les autres comédien.nes ne portent pas le texte avec la même nécessité. On a l’impression d’assister à des bribes de quelque chose en train de se construire, en train d’être répété, mais sans le charme particulier que ces ruines pourraient construire ensemble. Le tout demeure décousu, tout comme les idées scéniques, pourtant toutes prometteuses. Un miroir sur scène nous reflète, spectateurs naufragés dans nos fauteuils en velours rouge ; un saxophoniste crache des notes aiguës et douloureuses, comme une langue que nous ne comprendrons pas ; des applaudissements enregistrés saluent un bouquet de fleurs solitaire ; un écran égrène la liste d’immigrés devenus célèbres à Hollywood… Chaque fois on se dit que quelque chose va décoller, mais la sauce ne prend pas. On reste extérieur.es à cette parole qui circule devant nous, immuablement étrangère. C’est comme s’il manquait à ce spectacle une étape, comme si nous étions encore à mi-chemin entre la lecture et le passage à la scène, une sorte de mise en espace où flottent quelques images. La lecture américaine reste lettre morte, et les armes du théâtre, bien pauvrement utilisées.

  • Lecture américaine, un spectacle conçu par Daphné Biiga Nwanak et Baudoin Woehl, du 4 au 19 novembre au Théâtre de la Cité internationale (Paris)