(c) Nicolas Descoteaux

En un soir étoilé selon les standards parisiens, aux abords du Théâtre Paris-Villette, me voilà bloquée par un cordon de police. A quelques mètres de là se tient le Forum de Paris sur la Paix, et, pour passer, il faut montrer aile blanche. Heureux hasard, je me rends justement à la première de Pacific Palisades, dont le titre n’aurait pu être plus opportun. Étrange impression que de parcourir les derniers mètres jusqu’à la salle surveillée par des agents en uniforme. A quel moment précis s’est opérée l’entrée dans la fiction ? Je ne saurais le dire, et voilà qui aurait sûrement réjoui la compagnie québécoise Les songes turbulents, qui nous livre dans leur dernière création un documentaire surréaliste ou une fiction déjantée documentaire – allez savoir.

Le fait divers fait fiction, la fiction fait divers

Nous suivons Guillaume-Evelyne de plus en plus loin au-delà de la frontière entre réalité et fiction.

Une scène bleue. Très bleue. Le Pacifique ? Nous sommes pourtant encore à Montréal. L’actrice Evelyne de la Chenelière nous explique qu’elle est Guillaume Corbeil, l’auteur de la pièce, nous faisant visiter à coups de photos son appartement. On nous annonce qu’après une rupture difficile, elle, ou plutôt il, est sur le point d’entamer un voyage vers Los Angeles pour enquêter sur l’obsession de son transfert : Jeffrey Alan Lash, un homme retrouvé mort dans le coffre de sa voiture et qui prétendait être mi-homme mi-extraterrestre et travailler pour les services secrets américains. Officiellement, l’homme n’a aucun emploi. Un doux dingue, ou un rêveur ? Oui, mais voilà – dans sa maison, la police a retrouvé 1200 armes à feu d’un valeur de 3 millions de dollars, 6 tonnes de munitions, 14 voitures militaires, dont l’une permet de traverser le désert et une autre d’aller sous l’eau, ainsi que 230,000 dollars en cash. Près des lettres géantes de Hollywood, un fait divers est sur le point d’enflammer tous les fantasmes tandis que, sur un mode documentaire fait de photos, vidéos, enregistrements sons et récit à la première personne, nous suivons Guillaume-Evelyne de plus en plus loin au-delà de la frontière entre réalité et fiction.

On a soif d’idéal…

Tous nous racontent la même histoire, le même besoin d’une vie trépidante, la même fuite d’un quotidien banal et suffocant.

Ce brouillage n’est pas qu’un choix esthétique, ou l’opportunité pour un auteur de mieux captiver son audience. Il est surtout l’occasion d’une réflexion sur l’importance de la fiction dans notre quotidien. A Los Angeles, les seules étoiles que l’on peut apercevoir sont celles d’Hollywood Boulevard, et ce sont elles qui font rêver, jusqu’à l’autre côté du Pacifique. Le parcours de Jeffrey Alan Lash se croise et se mêle à bien d’autres qui tous nous racontent la même histoire, le même besoin d’une vie trépidante, la même fuite d’un quotidien banal et suffocant. Cette « soif d’idéal », présente en chacunE de nous, est poussée à son paroxysme à travers le personnage-personne de Daniel Fleetwood, un jeune homme en phase terminale qui sait qu’il ne vivra pas jusqu’à la sortie de Star Wars VII et qui dédie ses derniers jours à tenter de voir une projection anticipée. Voir les étoiles et mourir… Vivre, en attendant, lutter pour sa survie en se donnant une raison, et puisque la vie quotidienne ne suffit pas, s’en inventer une autre, digne de nos combats quotidiens.

(c) Nicolas Descoteaux

Entre les vidéos de David B. Ricard, la musique de Julien Eclancher, les tons bleus de Nicolas Descôteaux et Romain Fabre et la mise en scène mi-documentaire mi-onirique de Florent Siaud, incarnée et réincarnée par Evelyne de la Chenelière qui virevolte seule en scène d’un personnage à un autre, dansant, fumant, faisant l’amour dans un cadre de film hollywoodien, vous vous envolerez pour 1h15 dans cet au-delà de la réalité qui est parfois plus vrai que la réalité elle-même. Êtes-vous prêtE pour ce que vous risquez d’y trouver ?

  • Pacific Palisades, de Guillaume Corbeil, mise en scène Florent Siaud, au Théâtre Paris-Villette (Paris) jusqu’au 4 décembre, et à l’espace Jean Legendre (Compiègne) jusqu’au 7 décembre.