C’est parti pour la rentrée artistique ! Dhewadi Hadjab (M’Sila, 1992) explore les mouvements du corps dans l’espace intime grâce à un travail de pinceau extrêmement minutieux. Acte I : vaciller, exposition personnelle du jeune artiste algérien, aura lieu à la galerie Kamel Mennour, rue du Pont de Lodi à Paris jusqu’au 8 octobre.

Dhewadi Hadjab a découvert son goût pour les arts plastiques très tôt, alors qu’il était encore à l’école primaire dans la commune de M’sila en Algérie. Dessinant alors beaucoup, son professeur d’arts au collège lui offrait des crayons qu’il était très difficile de trouver en dehors de la capitale. Il commence à peindre pendant ses années de lycée, le soir après les cours et les week-end. Pour acheter des matériaux, il était obligé de voyager six heures jusqu’à Alger. C’est l’argent qu’il gagnait en aidant son père au travail qui lui permet d’acheter des fournitures. Après l’obtention du baccalauréat en 2011, il entre aux Beaux-Arts d’Alger, où il perfectionne sa technique. Malgré tout, son rêve est de venir en France et d’intégrer les Beaux-Arts de Paris. Pour ce faire, il lui faudra d’abord apprendre le français, car autour de M’sila, contrairement à d’autres régions d’Algérie, la pratique du français n’est pas très répandue. Afin de payer ses cours de langue, il réalise de nombreuses copies de peintures orientalistes pour des particuliers qui lui passent commande. Cette influence stylistique résonne encore dans ses tableaux, tout comme cette région et le climat dans lesquels il a grandi: des plateaux arides, une végétation brune et sèche, peu ou pas de verdure. Il est finalement arrivé en France en 2017, après avoir été choisi par plusieurs écoles d’art.

Liens entre la photographie et la pratique picturale

Les nœuds et les tensions entre la photographie et la peinture sont au cœur de l’œuvre de Dhewadi Hadjab. En effet, l’artiste utilise des photographies comme des esquisses de ses peintures en plaçant ses modèles dans des positions d’inconfort ou de contrainte extrêmes. C’est ensuite, dans l’exécution du tableau, qu’il parvient à donner naissance non pas à la copie d’un moment précis, mais à un univers original et personnel, grâce à l’accentuation des plus petits détails : un reflet satiné, les plis des chaussettes, la tension des muscles, les limites précises d’une ombre…

Vue de l’exposition Dhewadi Hadjab © Julie Amo

Dhewadi Hadjab est très influencé par le travail de la chorégraphe allemande Pina Bausch, dont il admet être un grand admirateur. L’artiste algérien s’inspire des vidéos de ses chorégraphies, notant dans ses carnets toutes les postures qui retiennent son attention. Lorsqu’il observe le corps, Hadjab ne s’intéresse pas tant à ses mouvements ordonnés qu’aux secousses involontaires, c’est-à-dire aux mouvements inconscients. À ce propos, il explique : « La danse a toujours été pour moi un terrain de curiosité. Mais dans la danse, c’est ce moment d’échec qui m’intéresse, l’instant où la pose se défait, où la posture est cassée, où le corps tremble en cherchant le bon geste. Je trouve que c’est le mouvement le plus sincère ».

Les séances photographiques permettent à ses modèles d’essayer ces postures jusqu’à ce qu’ils trouvent le bon geste. Ainsi, dans l’exécution de son tableau, il cherchera à refléter tous les détails le plus fidèlement possible, à travers des corps resserrés, étirés dans un grand inconfort. Bien qu’il utilise souvent des danseurs comme modèles, ceux-ci ne peuvent tenir plus de quelques secondes leurs architectures inconfortables : les séances sont éprouvantes, le corps frôle la limite de l’équilibre et de la douleur. Le caractère hyperréaliste des peintures de Dhewadi Hadjab rapproche son travail de la sculpture. Effectivement, l’artiste semble rechercher la perfection à travers la représentation des détails les plus cachés. Il convient de rappeler que Rodin utilisait déjà la photographie.

Capter les vacillements du corps

Vue de l’exposition Dhewadi Hadjab © Julie Amo

Le parquet, le papier peint, les habits de jogging ou encore le canapé constituent des motifs répétitifs qui permettent de structurer la scène et de marquer le tempo des danseurs, qui travaillent également avec la répétition. L’influence de la grande peinture est indéniable dans l’œuvre de Hadjab. On retrouve une touche lumineuse rappelant celle du Caravage, ainsi que la même clarté des drapés dans La Mort de Marat de David.

Ses différentes toiles peuvent êtres envisagées comme une construction théâtrale. Hadjab nous présente toujours des atmosphères intérieures et intimes décorées et meublées de manière sobre. Généralement, un seul personnage demeure dans la salle, appuyé sur un canapé, les membres étendus et presque désarticulés, sans toutefois la charge érotique des filles représentées par Bellmer. L’une des peintures les plus énigmatiques de l’exposition est un triptyque montrant uniquement l’extrémité des jambes d’une personne en jogging avec des chaussettes blanches. Cela peut rappeler les triptyques de Francis Bacon, d’une part, en raison de leur caractère religieux, mais aussi par ce corps qui se dérobe à toute personnification. Nous ne savons pas si le personnage joue, s’il se moque de nous, s’il sait qu’il est vu ou non.

La dimension religieuse s’avère plus évidente dans l’un des tableaux, qui présente un corps féminin renversé la tête en bas. Les bras et la tête reposent sur le canapé, tandis que les jambes tentent de maintenir l’équilibre. La posture du personnage et la grande taille du tableau semblent symboliser une image de nature religieuse. Dhewadi Hadjab paraît faire référence à une figure centrale dans l’art européen, celle de la descente de croix : pensons à celle de Bellini ou de Botticelli. L’artiste renoue un symbolisme complexe de trahison, d’abandon et d’expiation des péchés des autres. C’est le geste de soumission à travers la douleur du corps qui donne de la valeur à l’acte et le rend transcendant.

Les toiles sont toujours sans titre, comme si Dhewadi Hadjab souhaitait nous faire plonger dedans, nous invitant à les interpréter librement. Chaque œuvre semble réfléchir à la relation entre l’humain et les lieux symboliquement fermés, nous amenant à envisager des ouvertures possibles ou des moyens de les sublimer. La peinture de Dhewadi Hadjab semble contenir un temps suspendu, nous incitant, à travers la représentation de figures gracieuses en équilibre, à transcender le monde sensible.

Galerie Kamel Mennour, 6 rue du Pont de Lodi –  75006, Paris jusqu’au 8 octobre.

Crédit photo : © Léonore Destre