Dans Dream Scenario, le réalisateur norvégien Kristoffer Borgli renoue avec une partie des thèmes qui émaillaient son dernier film, Sick of Myself : la soif de célébrité, les revirements de la viralité sur les réseaux sociaux et la distorsion des images de soi. Mais il les aborde cette fois-ci à travers un personnage moins convenu, caché sous ses lunettes et son gros manteau : Paul, professeur d’une cinquantaine d’années, d’une banalité tranquille. 

A priori, rien ne distingue Paul du peuple d’ombres et de silhouettes inexpressives qui hantent nos songes. Mais voilà : du jour au lendemain, ce visage anodin apparaît dans les rêves de millions de personnes. Pourquoi ? C’est le grand mystère. Paul n’a rien fait pour, et vit au quotidien dans un anonymat relatif. Il se retrouve pourtant à avoir une double vie : le jour, banal professeur d’université, la nuit, arpenteur de millions de rêves auxquels lui, le vrai lui, n’a pas accès. Aussitôt, il devient un phénomène. Cette célébrité inattendue vient bouleverser son quotidien : les étudiants affluent à ses cours, ses filles le trouvent enfin cool, et son rêve de publier un ouvrage scientifique sur les fourmis n’a jamais été aussi proche de se réaliser. Jusqu’ici, tout est parfait. Jusqu’ici, pas de film.

Rapides rapaces

Car la veine satirique de Kristoffer Borgli s’intéresse moins au quart d’heure de gloire de Paul qu’à sa chute. Le réalisateur en profite pour dresser le bestiaire des vautours de la célébrité : réseaux sociaux, médias, agences de pubs. Tous se pressent autour de « l’homme le plus intéressant au monde pour le moment » — et Paul se fait acheter. Prévenu par sa femme des rouages pervers de la viralité, il s’y engouffre pourtant pour gonfler son égo. C’est sa faute originelle et il en sera puni. Peu à peu, son double onirique ne se contente plus de se balader passivement dans les rêves de millions de personnes ; il est maintenant à l’origine de leurs cauchemars. De phénomène amusant, Paul devient l’incarnation du mal, celui qui attaque à la hache, cause des noyades, vous livre aux crocodiles. Il n’est plus dissocié de ses activités nocturnes, n’a plus d’existence propre : pour tous, il est la menace qui les terrorise. Kristoffer Borgli puise dans cette double identité tout le comique grinçant de son film. La duplicité est au cœur de l’œuvre : Paul n’est jamais aimé ou détesté pour lui-même, mais pour les représentations qu’on se fait de lui, et sur lesquelles il n’a aucun pouvoir. Quand le vent tourne, le professeur s’exhorte à le rappeler aux étudiants qui fuient son cours en se disant traumatisés par les cauchemars qu’ils ont eus de lui. Mais nous nous rappelons vite que Paul lui-même a exploité un temps cette confusion à son avantage. C’est là le point fort du film : loin d’être une victime parfaite ou un coupable idéal, Paul est avant tout un personnage pathétique, égoïste et égocentrique, dont l’image, précisément, est en constante oscillation. 

La duplicité est au cœur de l’œuvre : Paul n’est jamais aimé ou détesté pour lui-même, mais pour les représentations qu’on se fait de lui, et sur lesquelles il n’a aucun pouvoir.

Rêves sages

Étudiants fragiles, agences de pub ridicules, personnage principal opportuniste, le réalisateur norvégien tire toutes les flèches de la satire pour moquer la société, son hypocrisie et sa lâcheté. Toutes ne touchent pas le centre de la cible. La deuxième partie, malgré sa pique acide contre la France, érigée en terre d’accueil pour personnalités borderline, s’essouffle un peu. En s’éloignant de son personnage principal au profit d’une boîte de marketing spécialisée dans la vente de rêves, Kristoffer Borgli se prive de son plus grand atout : Nicolas Cage. Méconnaissable, l’acteur excelle dans un rôle souvent plus subtil que le reste du film. La constante redéfinition de son image, entre rêves et réalité, honnêteté et utilisation commerciale, est plus intéressante que la dimension satirique du long-métrage, finalement assez classique. On pourrait reprocher au film son aspect parfois conventionnel : il manque de bizarreries, d’idées de mises en scène, d’onirisme, que le pitch promettait pourtant. Si Dream Scenario reste un bon film, il n’est pas sûr que nos rêves s’en inspirent. 

  • Dream Scenario, un film de Kristoffer Borgli, avec Nicolas Cage, Julianne Nicholson et Michael Cera, en salles le 27 décembre.