En treize ans d’hégémonie Disney, La Voie de l’eau s’affiche comme le digne successeur du premier opus parce qu’il est le seul à oser, pour le meilleur et pour le pire, recapturer l’ambition démesurée de Cameron

James Cameron aura eu la bonne idée de faire vieillir ses personnages au même rythme que les spectateurs, offrant la douce sensation de grandes retrouvailles à l’écran. Mais il aura peut-être oublié qu’en treize ans, les descendants de son film sont légion. Pléthore de produits estampillés Marvel aux durées indigestes, tournées sur fond vert et dans lesquels le spectaculaire aura rapidement laissé place à des scènes d’actions informes. Produit par la Fox (que Disney a racheté il y a quelques années), ce nouvel opus devient l’œuvre d’un studio majoritairement influencé par son prédécesseur : c’est le serpent qui se mord la queue. Faire totalement abstraction de la décennie passée revient à nier l’influence significative – que l’on peut considérer positive ou négative – du film de 2009. Au moins, Cameron reste fidèle à ses principes en proposant son film en 3D, une technologie qu’il aura lui-même rendue populaire avant qu’elle ne soit exploitée jusqu’à son épuisement par Hollywood sans jamais avoir réussi à l’imposer comme un vrai moyen du renouveau du cinéma grand public. 

Le grand barnum final peine à proposer autre chose qu’une résolution simpliste des différents conflits, comme si Cameron plongeait, comme à son habitude, tête la première dans ses démonstrations pyrotechniques.

Le retour de la mort

Plus de dix-ans après les événements du premier Avatar, John Smith (Jake Sully) a épousé Pocahontas et vaincu l’envahisseur. Entouré de ses enfants, il assiste, impuissant, à une nouvelle invasion de Pandora. Pris pour cible par les forces ennemies, il se voit contraint, pour protéger les siens, de s’exiler loin de la forêt, chez les peuples Na’vis proches des océans. En commençant par la spectaculaire destruction de la faune pandorienne, Cameron balaie en quelques secondes le souvenir pénible d’une longue décennie de blockbusters hideux et sans enjeux – Marvel en tête de gondole. Retrouver un monde de science-fiction menaçant,  pour contrebalancer l’émerveillement de la découverte avec la dangerosité de l’inconnu, permet au spectateur d’être enfin investi avec des personnages, pourtant ô combien archétypaux. La Voie de l’eau devient l’exemple le plus criant des limites hollywoodiennes de l’adaptation super-héroïque : des œuvres qui sont incapables de faire planer une menace crédible sur ses protagonistes et qui effacent l’implication affective de leur audience en abandonnant l’idée de mort et de perte. Le reste de l’intrigue est bien plus convenu, déroulant ses trois actes avec une rigidité paresseuse et se penchant sur une thématique familiale qui contient son lot de poncifs – un fils prodige, un cadet complexé. L’idée d’appartenance, aussi bien à une cellule familiale qu’à une tribu est trop rapidement écartée. Le grand barnum final peine à proposer autre chose qu’une résolution simpliste des différents conflits, comme si Cameron plongeait, comme à son habitude, tête la première dans ses démonstrations pyrotechniques. Le seul vrai propos du film concerne à nouveau la lutte écologique. En plus d’une décennie, rien n’a changé : l’humanité et sa folie destructrice sont brillamment suggérées par la confrontation visuelle entre les étendues colorées de la planète et l’omniprésence grisâtre des vaisseaux et des structures militaires. Les 3h15 qui composent le film s’éternisent devant la vie sous-marine et manquent clairement d’efficacité, et cet amour pour les Océans est plus aisément représenté dans l’action brute et découpée que dans la pure contemplation. La très belle idée consistant à montrer une cruelle scène de chasse au Tulkun en l’inscrivant dans la durée, offre une dénonciation bienvenue de la pratique de la chasse aux baleines. 

Comme pour la 3D en 2009, Avatar doit plutôt être perçu comme une porte d’entrée sur une infinité de possibles.

Regard robotique

Après avoir évoqué les enjeux narratifs du film, attelons-nous à l’examen de la raison d’existence d’Avatar et de son pouvoir d’attraction. Outre la démonstration de force de l’utilité de la 3D, ce second opus de la saga emploie une autre spécificité technologique qui était déjà utilisée dans la très médiocre et déjà visuellement obsolète trilogie du Hobbit, le HFR. Sans rentrer dans de trop longues explications techniques, disons simplement que le High Frame Rate consiste à proposer un film en 48 images par seconde, le double donc des standards habituels du cinéma. Son but, en plus d’afficher à nouveau et bêtement Cameron comme un visionnaire, serait de fluidifier les mouvements à l’écran pour donner une vision plus proche de la réalité. Le résultat n’est pas tout à fait convaincant. Si les images marines sont saisissantes, dès que la caméra s’attarde un peu sur l’action des personnages, l’impression d’artificialité rapproche le film du jeu vidéo. Paradoxalement, tenter de coïncider avec la vision humaine par l’usage de cet outil technologique donne l’impression de regarder un cinéma à l’image de plus en plus factice, et La Voie de l’eau apparaît comme un véritable laboratoire cinématographique. Il faudrait peut-être alors assumer ce parti-pris jusqu’au bout en se défaisant de la structure narrative pour plonger dans l’expérimentation et rendre cette technologie digne d’intérêt. Comme pour la 3D en 2009, Avatar doit plutôt être perçu comme une porte d’entrée sur une infinité de possibles. Bien que la tentative se soit soldée par un échec, il faut reconnaître à Cameron le mérite d’essayer. Quoi qu’il en soit, ce second opus, aussi éclatant qu’exténuant, convenu mais aussi traversé par quelques sursauts de grand cinéma, suscite la curiosité et une certaine forme d’exaltation. James Cameron est à la croisée des chemins. Il tient entre ses mains la possibilité d’une future grande saga dont la clé réside peut-être dans l’abandon total de son histoire au profit d’un voyage dans l’immatérialité du numérique. 

Avatar – La Voie de l’eau, réalisé par James Cameron, avec Sam Worthington, Zoe Saldana, Sigourney Weaver et Kate Winslet, en salles le 14 décembre.