Du 16 au 25 juin, le Festival Le Mans fait son Cirque investit Le Plongeoir – Cité du Cirque, pour la vingt-deuxième édition de ce rendez-vous de la région sarthoise. On y célèbre le cirque contemporain et les artistes qui le réinventent avec toujours plus d’ingéniosité et de sensibilité. Pratiques amateures et professionnelles se déploient sous les (nombreux) chapiteaux qui parsèment la promenade Newton, pour proposer un vaste aperçu de la création circassienne contemporaine dans une atmosphère festive et chaleureuse.

Prendre une grande inspiration, fermer les yeux et plonger dans l’intime.

Au sein du nouveau Chapiteau en dur récemment inauguré ainsi que dans les nombreux autres espaces déployés pour faire vivre le Festival, la programmation de cette vingt-deuxième édition du Mans fait son Cirque bat son plein. Spectacles, concerts, ateliers et rencontres se succèdent pendant deux semaines, permettant au Plongeoir – Cité du cirque de célébrer comme il se doit sa très récente obtention du label Pôle national Cirque avec les 20 000 festivalier·es attendu·es.
À travers vingt-deux spectacles, le cirque contemporain se déploie avec énergie et générosité et nous invite à prendre une grande inspiration, fermer les yeux et plonger dans l’intime.

Lulu’s Paradise © Sebastien Pouchard

Avec le saisissant et généreux Lulu’s Paradise, Gilles Cailleau et la compagnie Attention Fragile nous emmènent au creux d’une yourte kirghize. Dans cette reprise du spectacle Tania’s Paradise qui portait le récit autobiographique de l’artiste israélienne Tania Sheflan, nous sommes à nouveau réuni·es en petit comité autour d’une minuscule piste, à l’écoute des souvenirs à la fois drôles et bouleversants de l’acrobate Lulu Hadas Koren, elle aussi d’origine israélienne. Lulu nous reçoit dans cette tente comme elle nous partage le récit de sa vie, le cœur ouvert, le regard complice et la voix confiante.

Ce tout petit chapiteau est un écrin merveilleux du souvenir et de la transmission.

Il y a l’enfance dans un kibboutz, les amours adolescentes, les cicatrices de la danse classique, les sirènes d’alerte qui réveillent la nuit, le cirque à Tel-Aviv, Madrid puis Toulouse, la maternité… La vie entière de Lulu tient dans ce tout petit chapiteau, écrin merveilleux du souvenir et de la transmission.

C’est un univers peuplé de poupées mais aussi de parpaings, qui cohabitent symboliquement entre douceur et brutalité. La violence ne se dissimule pas, elle est frontale et récurrente. Elle se dit dans les mots et dans le corps, mais elle coexiste toujours avec la beauté. Elle est traversée de poésie, d’absurdité, d’humour et de jeu, comme l’enfance de celles et ceux qui grandissent dans un pays en guerre.

BITBYBIT © Kalimba

Avec BITBYBIT, les frères Simon et Vincent Bruyninckx (collectif Malunés) livrent un formidable portrait de leur lien de frères et d’artistes. En collaboration avec Kasper Vandenberghe (compagnie MOVEDBYMATTER) à la direction artistique, les deux acrobates écrivent une puissante histoire d’équilibre, parsemée de pieds de nez au danger et d’acrobaties prodigieuses.

Les deux acrobates explorent cette zone trouble et fascinante du déséquilibre, cette seconde qui précède la chute.

Reliés par des câbles dont ils gardent l’extrémité en bouche, serrant les mâchoires, Simon et Vincent Bruyninckx se toisent du regard d’un bout à l’autre d’une longue planche de bois. Dans un joyeux masochisme, ces deux pirates se soumettent sans cesse au supplice de la planche, et sont l’un pour l’autre à la fois tortionnaires et sauveteurs. Les deux acrobates explorent cette zone trouble et fascinante du déséquilibre, cette seconde qui précède la chute et qui met tout un public en tension.

Ébahi·es par ces prises de risque, nous retenons notre souffle à chacun de leur pas et nous laissons plaisamment traverser par le contagieux frisson qui les anime. On se retrouve aussi bouleversé par la puissance chorégraphique de leur lien, qui se révèle dans toute sa beauté dans un impressionnant final. Simon et Vincent Bruyninckx semblent être les deux visages d’un même dieu romain, à la différence qu’ils se regardent dans les yeux : on est saisi par le tableau de cette fraternité.

Les Invendus © Tanguy Marchand

Quelque peu mises à mal par la vigilance orange et les fortes rafales de vent secouant la région, les propositions qui devaient se dérouler en extérieur ont su trouver repli dans la Cité du cirque, ancien bassin olympique du Mans, grâce à la réactivité et au travail des équipes du Festival.

Le jonglage devient l’endroit où les corps peuvent frémir, gronder, se réveiller et s’animer pour de bon.

On pouvait y découvrir la compagnie Les Invendus et leur spectacle Influence, un duo jonglé festif et jubilatoire. Dans le silence, voilà quelques chuchotements : on ne sait qu’une seule chose, c’est que l’un de ces deux clowns s’est trompé de sac. Ils vont tout de même bien devoir composer avec ce qui se trouve à l’intérieur, pour amuser ce public qui les regarde patiemment.

Avec ingéniosité, Guillaume Cachera et Nicolas Paumier vont déployer tous leurs talents de jongleurs pour créer un réjouissant ballet de lancers et de rebonds. Cette danse où les corps se parlent et se répondent se construit comme l’expression de la complicité et de l’harmonie qui connectent les deux performeurs, dont l’enthousiasme et l’énergie sont profondément contagieux. Le jonglage devient l’endroit où les corps peuvent frémir, gronder, se réveiller et s’animer pour de bon. Influence est un tendre et généreux spectacle à la physicalité impressionnante, dans lequel on se laisse volontiers entraîner par ces deux clowns jongleurs virtuoses.

À l’abris de la pluie, dans la Cité du cirque, on pouvait également découvrir le travail de La June compagnie et de Samantha Lopez, artiste associée au Plongeoir. Dans le cadre du Mans fait son cirque, la trapéziste nous livrait pour la première fois son spectacle Asthma Furiosa, récit vocal et touchant de son rapport d’asthmatique à la respiration.

Sur la piste, elle a pour seul compagnon un trapèze, au double-emploi poétique puisqu’il est à la fois celui qui permet l’envol de la circassienne et celui qui lui demande un grand effort physique. Cet effort, on l’entend dans ses poumons : Samantha Lopez le vocalise dans une puissante mélopée gutturale, où elle explore avec curiosité toutes les nuances de son souffle. Avec Asthma Furiosa, Samantha Lopez réussit à créer un instant parenthèse, où l’écoute est attentive et l’émotion diffusée.

OBAKE © Thomas Brousmiche

Avec ce duo de clowns arpenteurs, le réel a soudain un goût d’herbe, une forme de parapluie, une texture d’argile et une odeur de gravier.

Pour clore en beauté ce premier week-end de festival et célébrer la fin de l’orage, le collectif Maison Courbe a pu prendre ses quartiers en extérieur pour OBAKE, une déambulation surréaliste guidée par Moellon et Parpaing. Avec ce duo de clowns arpenteurs conçu et interprété par Hélène Leveau et Léo Manipoud, le réel a soudain un goût d’herbe, une forme de parapluie, une texture d’argile et une odeur de gravier. Il est l’étonnement, la surprise, la découverte de tout ce qui n’était pourtant pas inconnu.

Les deux performeur·euses nous convient à un jeu de piste absurde, une quête vers une finalité énigmatique. On les suit sans crainte, ces deux créatures, dans ce chemin parsemé d’éléments imprévus, auxquels il et elle s’adaptent avec grande joie. Chaque nouvelle étape du parcours déjoue nos suppositions, et reconfigure sans cesse notre rapport à l’altérité. Avec clownerie, poésie, mais aussi une impressionnante physicalité, le collectif Maison Courbe nous plonge dans un monde du sensible qui sublime chaque chose du vivant.

Histoires de famille, jeux de complicité ou encore quêtes exaltées d’harmonie, ces créations s’attachent à célébrer le geste de l’intime, celui qui part de soi pour se déployer généreusement vers l’extérieur. Avec force et intelligence, ces artistes nous parlent d’elles et eux pour nous parler de l’humanité toute entière, dans des spectacles ingénieux qui s’adressent au cœur et égarent les habitudes.
Le Festival Le Mans fait son Cirque se fait l’écrin privilégié de ces créations, dans une belle et nécessaire démarche d’ouverture et d’accessibilité, afin que tous et toutes puissent partager ensemble ces instants d’intime.

  • Le festival se poursuit jusqu’au dimanche 25 juin avec, entre autres, Chloé Moglia, la compagnie Ea Eo, le cirque du Docteur Pardi, la compagnie Un loup pour l’homme, le CNAC, Aloïse Sauvage…

Crédit photo : © Thomas Brousmiche