Francois Génot, Fougère numéro 2, Faïence fine et porcelaine émaillée, 14 x 50 x 15 cm, 2022

Niché derrière une porte bleue de la rue Pierre Sarrazin, à quelques encablures du quartier d’Odéon, Laure Boucomont a créé un cocon artistique dans lequel il est doux de s’y loger. Dans ce lieu d’exposition privé unique, on y est comme à la maison. Accueillir, cueillir, recueillir est la troisième exposition pensée par Laure Boucomont et Henri Guette, le commissaire invité, au profit de l’association Fertile qui promeut les artistes dont l’art est intimement lié au vivant. L’exposition invite le regard à la curiosité et à la méditation jusqu’au 25 mars 2023.

Une culture de l’art

En 2021, Laure Boucomont crée l’association Fertile qui soutient les artistes dont la démarche artistique intègre une conscience de la Nature. Pont jeté entre Paris et le domaine de Toury-sur-Jour en Bourgogne, l’association propose une exposition annuelle à Paris et deux résidences d’un à deux mois dans un domaine agricole familial de soixante hectares où l’Homme et la Nature vivent en symbiose.

L’association cultive une certaine intimité. Dans cette belle maison privée du 6e arrondissement de Paris, les expositions sont présentées de telle sorte à ressentir une forme de plénitude et de sérénité. On se sent chez soi, entouré d’œuvres d’art qui sont une célébration du monde. Chaque exposition est un hommage à la Nature, un éloge de la fragilité qui invite le visiteur à porter un regard plus respectueux et plus conscient sur le monde. Laure Boucomont désire ouvrir nos sens, nous invite à prendre le temps, à trouver l’équilibre entre l’intellect, les sens et les sentiments à travers ces expositions dont les bénéfices sont destinés à la dotation des artistes en résidence.

Chaque exposition est un hommage à la Nature, un éloge de la fragilité qui invite le visiteur à porter un regard plus respectueux et plus conscient sur le monde. Laure Boucomont désire ouvrir nos sens, nous invite à prendre le temps, à trouver l’équilibre entre l’intellect, les sens et les sentiments

Fertile organise deux résidences par an durant lesquelles des artistes, des écrivains ou des chefs de cuisine sont invités à poursuivre leurs recherche et à expérimenter dans cet écrin végétal où l’agriculture biologique joue un rôle essentiel. Outre la dimension créative du domaine de Toury-sur-Jour, se développe la dimension écologique et raisonnée de la pratique agricole sur les trente hectares de culture céréalière. En ce sens, ce lieu est la parfaite expression de l’Art et de la Nature.

Sur le reste du domaine, les animaux s’ébattent. La brume silencieuse du matin plane sur les prairies, attendant le passage fugitif d’un chevreuil que la présenced’Eugénie Touzé, actuellement en résidence, n’a pas perturbé. Au contraire, le regard de l’artiste a su capter en vidéo l’atmosphère délicate, presque mystique, du domaine de Toury.

Contempler

Accueillir, Cueillir, Recueillir a été pensée par Laure Boucomont et Henri Guette, critique d’art et commissaire d’exposition. L’exposition réunit onze artistes qui proposent un geste narratif lié à la Nature. Il y a le geste, mais il y a aussi la posture, celle qui vous fait entrer en dialogue avec la matière et la forme. Chaque œuvre nous invite à penser aux vers de Baudelaire dans L’Invitation au voyage : « Là, tout n’est qu’ordre et beauté / Luxe, calme et volupté ». Il s’agit bien d’une invitation au voyage, un voyage à rebours, celui des origines où l’homme avait à faire avec la matière brute ; lui le chasseur-cueilleur qui devait composer avec ses faiblesses et comprendre que dans cette nature, il était bien peu de choses.

Aurelie Scouarnec, Les doigts et l’oiseau, Tirage réalisé sur papier Fine Art Hahnemühle, éditions numérotées et limitées à 10 exemplaires + 2 AP

Les photographies d’Aurélie Scouarnec m’ont fait penser à un tableau de la Renaissance. Son travail de la lumière crée de forts contrastes entre les ombres et les zones éclairées. Il y a un côté caravagesque, m’a dit Laure Boucomont au fil de notre conversation, assis à la table, les yeux tournés vers la photographie de l’artiste, comme happés par la douceur que la photographie procure : des mains prêtes à secourir un oiseau, semble-t-il terrorisé, enveloppé dans une petite serviette de la même couleur que son plumage. Avec cette photographie, Aurélie Scouarnec rejoue l’allégorie de la Liberté, ici abîmée, mais toujours secourue.

On contemple aussi les œuvres de François Génot, qu’il s’agisse de ses lavis d’encre gelée sur papier, qui font écho aux estampes asiatiques de paysages montagneux, ou de ses faïences fines et porcelaines émaillées qui explorent la frontière du végétal et du minéral. Fougères fossilisées ? Xénomorphes venus d’ailleurs ? L’imagination s’emporte lorsque l’on regarde ses œuvres au noir profond. L’attraction est forte, presque magnétique.

Quentin Derouet, Rien ne puis, Rose sur toile, 33 x 24 cm, 2022

De la même manière, le mobile de Cécile Beau semble sortir du fond des âges avec ses petites stalactites qui tournoient au milieu du salon-bibliothèque. Si muove est une œuvre aux dimensions variables. L’artiste le module selon l’espace, mais les stalactites issues de blockhaus demeurent, en suspension pour l’éternité dans une danse lente et légère. Cette constellation minérale apaise comme peut l’être la vidéo d’Eugénie Touzé dont on parlait plus haut, véritable hommage à la Nature et au domaine de Toury.

Honorer

Pour certaines œuvres, nous sentons que la matière et la texture ont une place singulière. Une des œuvres remarquables de cette exposition est celle de Quentin Derouet. Ses roses m’ont touché car j’y ai lu un poème qui se donne comme un éloge de la simplicité. Hommage tendre à la reine des fleurs, Aime moi est une toile sur laquelle la rose a été réduite en pigments puis apposée sous la forme d’une ligne. Henri Guette nous donne la référence de l’art pariétal – que nous connaissons fort bien pour travailler avec Solène Kerlo. Il est vrai que les œuvres de Quentin Derouet renouent avec une immédiateté du geste et de la couleur qui change au gré de la lumière et du temps, car la rose se fane, même sur la toile. Déconstruite est la rose. À l’œil de la recomposer en esprit. Au nez de se souvenir de sa fragrance. Un poème de Ponge ?

Enfin, notre curiosité s’est tournée vers les sculptures naturelles de Lélia Demoisy qui opère un véritable retour au vivant, créant des objets hybrides où les matières du vivant se côtoie. Objets de curiosité, les œuvres de Lélia Demoisy signalent l’interdépendance qui lie les êtres. La série Anima provoque une sensation vive. Un œuf-cheveux, un œuf-lichen, un œuf-plume. On pourrait croire à un objet surréaliste, mais il n’en est rien ! Ces œuvres brutes, où la matière et la texture sont éminemment visibles et sensibles, nous invitent à une conscience accrue de ce que la Nature pourvoie. En témoigne cette merveilleuse sculpture en oxyde de fer qui forme comme une écorce de pin. L’artiste joue avec la matière, elle l’honore. Plus que cela, Lélia Demoisy honore la Nature, honore le Vivant et fait entrer en résonance les multiples éléments qui constituent notre monde.

Lélia Demoisy, de gauche à droite : Birch wood, hair, 8 x 16 x 10 cm / Bois de Kotibé, lichen Usnea Barbata, 11 x 19 x 12 cm / Viviovo, Bois, plumes d’autruche, résine, 21 x 13 x 13 cm.

À avoir la chance de voir beaucoup d’expositions et de rencontrer beaucoup d’artistes, j’ai la vive impression que les créateurs tendent à revenir à un processus de création plus raisonnée. Du moins, cette génération d’artistes de trente et quarante ans cherche à signaler, par l’art, la beauté du Vivant et la nécessité de la respecter. Souvenez-vous des artistes de l’école de Barbizon qui se sont levés pour sauver la forêt de Fontainebleau au XIXe siècle ! Peut-être revenons-nous à un art qui cherche à protéger les éléments essentiels de notre existence, qui cherche à revenir aux sens, aux émotions trop atrophiés par un monde qui court trop vite.

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Accueillir, Cueillir, Recueillir est une bouffée d’air frais en plein Paris. L’exposition crée une belle synergie entre plusieurs artistes qui sont des gardiens et qui réactivent, inconsciemment, les racines profondes de notre être et nos sensibilités originelles. C’est cela Fertile, une serre artistique qui tente d’appréhender les enjeux contemporains liés à la Terre.

Association Fertile : 11, rue Pierre Sarrazin – 75006, Paris – Accueillir, Cueillir, Recueillir, jusqu’au 25 mars sur rendez-vous.