Après avoir mis en scène L’homme qui surprit tout le monde (2018), le duo de réalisateurs composé de Natalya Merkulova et Aleksey Chupov place son récit dans les années de la Terreur soviétique et raconte la fuite d’une petite main du Parti. Ce dernier, ayant pris soudainement conscience de la gravité de ses actes part en quête d’un impossible salut. Une fable haletante, noire et politique.

L’intrigue pourrait être celle d’un roman de Milan Kundera qui, déjà dans La Plaisanterie, dénonçait la machinerie mortifère du Parti. De la même manière, la réalisatrice russe Natalya Merkulova et son scénariste, Aleksey Chupov, mettent en scène leur héros, le Capitaine Volkonogov, qui, en 1938, en plein milieu des purges staliniennes, comprend que son heure est arrivée. Il part demander pardon à toutes les familles dont il a fait exécuter un proche innocent. Qui sait ? Ce geste pourrait lui permettre d’obtenir la grâce, et ce faisant d’aller au paradis. À condition qu’il existe.

Il devient un paria recherché par tous ses anciens camarades de la NKVD. Commence une course poursuite effrénée dans les rues de Léningrad. Le Capitaine, incarné par le talentueux acteur Youri Borisov – on l’avait déjà vu dans Compartiment n°6 et La Fièvre de Petrov – s’engage dans la recherche de toutes celles et ceux à qui il a pu faire du tort : père de famille, épouse d’ouvrier, fils d’un adhérent exemplaire du Parti. Dans cette allégorie du régime soviétique, tous ses membres y passent, comme dans un procès stalinien: exécutés, juges, témoins. On comprend rapidement qui sont les véritables coupables : ce sont les camarades du Capitaine. Les condamnés, eux, n’étaient  coupables de rien, torturés jusqu’à l’aveu factice. Leurs pères, leurs femmes ou leurs fils n’étaient pas des ennemis de la nation mais de simples innocents exécutés gratuitement, d’une manière cruelle et arbitraire, dans le but de servir une idéologie. Mais une fois cette vérité dévoilée, qui est capable de l’écouter ? Tout le monde semble refuser les paroles inaudibles et insupportables du Capitaine Volkonogov – son nom dont la racine germanique est Volk renvoie d’ailleurs au terme de peuple –, de ce Monsieur-tout-le-monde, ce banal agent du mal. Sous les pieds du Capitaine, les kilomètres défilent. Sous ses yeux, les visages soviétiques. À travers une galerie de portraits variés, la réalisatrice et son scénariste dépeignent un pays soumis à un système dictatorial qui broie toute volonté d’opposition et tout espoir de fuite autre que la mort.

Tout le monde semble refuser les paroles inaudibles et insupportables du Capitaine Volkonogov – son nom dont la racine germanique est Volk renvoie d’ailleurs au terme de peuple –, de ce Monsieur-tout-le-monde, ce banal agent du mal.

Crimes et châtiments 

Cependant, alors que tout semble suggérer une reconstruction historique, les costumes anachroniques – des sortes de combinaisons rouges de petit soldat en bois – ainsi que les éléments fantastiques qui viennent sous-tendre le récit évoquent davantage une parabole, une fable. Les membres de la brigade habitent des anciens palais royaux où le foin couvre le sol comme dans une porcherie et le film s’ouvre sur une séquence où les membres de la faction jouent aux chiens de combat – on n’est pas loin de La Ferme des animaux de George Orwell, avec son rire grinçant. Parce que oui, ici, l’horreur la plus absolue induite par les exécutions arbitraires devient un motif d’humour. On ne peut s’empêcher de rire jaune. Si la parabole grossit certains traits et joue sur des images préconçues, elle permet aussi d’ouvrir le récit et le champ des interprétations. Les enjeux de cette fable nous feront autant penser à ceux d’un roman de Dostoïevski, qu’à ceux qui se jouent actuellement dans la Russie de Poutine. 

Il s’agit, dans cette drôle d’histoire où un homme est soudainement frappé par la conscience et se risque à un pari quasi pascalien, de dénoncer une machinerie sans concession, qui a tué des centaines de milliers d’individus et qui continue – dans une certaine mesure – à tuer ceux qui ne se mettent pas au pas. Le film dénonce la vie sous dictature, qui prive ses habitants de tout : de leurs proches, de leurs remords et de leur libre-arbitre. Si le capitaine Volkonogov n’a aucune maîtrise sur son existence et n’est qu’un rouage dans la gigantesque machinerie soviétique, il cherche dans la mort à creuser le sillon de sa liberté. Parce que, semblent nous suggérer les réalisateurs, il y a toujours un moment où l’appareil dictatorial pourtant bien huilé déraille et où une âme cavale dans les rues à la recherche de son libre-arbitre. Le bruit des pas sur le bitume, c’est celui d’une conscience qui s’éveille.  

Le capitaine Volkonogov s’est échappé, de Natalya Merkulova et Aleksey Chupov avec Yuriy Borisov, Aleksandr Yatsenko. En salles le 29 mars.