Au Théâtre de la Cité Internationale, Fanny Soriano (compagnie Libertivore) et ses huit interprètes explorent le rite amoureux dans ce qu’il a d’animal, d’absurde, de physique, de silencieux. Une écriture chorégraphique et circassienne qui traverse le sentiment, celui qui ne dit mot et qui prend au corps. Avec une impressionnante physicalité, les acrobates s’emparent d’un amour indéfinissable et volatil, et en livrent une interprétation joyeuse et poétique.

Milieu naturel

Le paysage scénographique se fait l’écrin de cette énigme amoureuse, où l’on avance toujours avec prudence.

Dans l’écrin de cette forêt d’arbres, de cordes et de mâts chinois, un univers vertical à la lisière du réel où le cérémonial amoureux peut prendre racine, on replonge dans ces contes d’enfants qui laissent toujours des traces dans les cœurs d’adultes, dans ces histoires où l’amour est vaste et protéiforme. Tantôt l’objet d’une quête, tantôt présage d’une menace, le concept amoureux que l’on construit dans l’enfance est souvent teinté de mystère.

Ici, il se diffuse petit à petit entre les corps, par contagion, comme un parfum qui enivre et rebute à la fois. Le paysage scénographique conçu par Fanny Soriano se fait l’écrin de cette énigme amoureuse, où l’on avance toujours avec prudence. Les multiples agrès sont un vaste terrain de jeu pour les interprètes qui s’en emparent avec vitalité et une étonnante facilité. Les corps grimpent, descendent et tâtonnent, à la recherche de prises dans ce milieu en apparence hostile qu’ils doivent appréhender.

Ce paysage énigmatique se construit aussi grâce à la création sonore mouvante et enveloppante de Grégory Cosenza, où, entre ardeur et lenteur, la composition instrumentale caresse parfois la voix de Kae Tempest ou encore les notes de piano d’Erik Satie. Cette musicalité se fait la bande-son du tourbillon amoureux, aussi multiple et imprévisible que les corps qu’elle sublime.

Les corps s’éprennent

© Jeremy Paulin

Dans une très grande précision chorégraphique, les huit interprètes nous invitent à écouter un langage différent.

Pour pousser ce cri d’amour, les huit circassien·nes vont chercher toutes les métamorphoses permises par leurs corps. Ils et elles sont à la fois humain·es et animaux·ales, livré·es à une succession de parades nuptiales. Inspiré·es par les comportements animaux, ils et elles réussissent aussi à créer des créatures chimériques et fugaces, par l’assemblage de plusieurs corps. Des corps presque magiques qui donnent l’illusion d’être désarticulés ou beaucoup trop légers lorsqu’ils se laissent porter par les autres ou par l’anti-gravité.

Dans une très grande précision chorégraphique, les huit interprètes nous invitent à écouter un langage différent. Sans mots, ils et elles arrivent à créer des situations aussi drôles que touchantes, parfois sensuelles aussi, à la rythmique précise et à l’enchaînement parfait. Dans ce langage du mouvement, des phrases reviennent : l’irrésistible désir de toucher le corps de l’autre, de sentir son contact, de le prendre dans ses bras, de s’accrocher à son cou, de caresser son visage…

L’écriture chorégraphique est d’une grande beauté, entre rêverie vers l’imaginaire et puissance identificatoire du geste.

Des fragments de désir qui permettent de dresser un portrait exhaustif de notre besoin de séduction et de notre (nos) nature(s) amoureuse(s). Il y a celui et celle qui se regardent longuement sans se toucher à la cime des arbres, celui et celle qui passent leurs temps à se poursuivre, celui qui n’arrive pas à offrir son cœur (ou ses bois ?), ceux qui font un combat de tignasses, et encore plein d’autres bribes d’un discours du mouvement amoureux. Alternant entre des duos, des solos et des moments choraux, l’écriture chorégraphique est d’une grande beauté, entre rêverie vers l’imaginaire et puissance identificatoire du geste.

Avec un plaisir perceptible et partagé, les huit interprètes de Brame racontent une jeunesse qui, on ne peut plus littéralement, tombe amoureuse et s’envoie en l’air. L’élan du mouvement se fait l’écho de l’élan d’affection et l’on ne peut rester insensible face à ces parades qui sont aussi les nôtres. Dans un tourbillon ou au ralenti, on se laisse porter par cette danse du cerf amoureux qui nous éblouit de virtuosité et nous charme de sensibilité.

  • Brame, écriture, chorégraphie et scénographie de Fanny Soriano, avec Antonin Bailles, Hector Diaz Mallea, Nilda Martinez, Erika Matagne, Joana Nicioli, Johnson Saint-Felix, Laura Terrancle et Céline Vaillier. Au Théâtre de la Cité Internationale jusqu’au 10 juin puis en tournée en France.

Crédit photo : © Ian Grandjean