Pour ouvrir le bal de cette immersion écossaise dans le Fringe, festival artistique le plus important du monde avec plus de 3500 spectacles pour cette 76e édition, rendez-vous au Underbelly’s Circus Hub, premier pôle majeur consacré au cirque. À l’abri de l’effervescence du festival, en plein cœur des « prés » de la ville (« The Meadows »), les deux chapiteaux d’Underbelly proposent une programmation vaste et internationale, photographie d’un cirque contemporain qui sort du cadre.
Retour sur trois spectacles attendus : Reclaim, le puissant rituel intimiste de la compagnie belge Théâtre d’Un Jour, Peepshow (Club Remix), le cabaret sensuel et libéré de la compagnie australienne Circa et enfin Duel Reality, le match acrobatique shakespearien de la compagnie canadienne Les 7 Doigts de la main.

Reclaim – Théâtre d’Un Jour

Reclaim © Danny Willems

Avec Reclaim, la compagnie belge du T1J nous fait basculer dans un puissant entre-deux : un monde du sensible, à la frontière du sommeil et de l’éveil, de l’obscurité et de la lumière, où l’on peut se laisser traverser par les courants. Au creux de cette piste circulaire et intimiste, les huit interprètes nous invitent à partager leur rituel. À l’aide du chant, de la danse, de la musique live, du masque, des portés acrobatiques et même de la manipulation marionnettique, ils et elles dessinent un nouveau monde.
Cette nouvelle création du T1J s’inspire du rituel ko’ch célébré en Asie centrale, notamment par des femmes chamanes. Ici, c’est la chanteuse lyrique (et acrobate !) Blandine Coulon qui nous convie à ce rituel de l’imaginaire, au son du tambour et des chants de Purcell et de Bach. Elle est accompagnée de deux violoncellistes, présences musicales et poétiques installées aux côtés des spectateur·rices, ainsi que de cinq circassien·nes, dont la vivacité physique laisse sans voix.

Les acrobaties sont des pulsions physiques, instinctives et vitales pour réhabiter le présent.

La force de ce spectacle, c’est d’accueillir la présence du public comme la condition d’un moment unique de partage : nous sommes pleinement intégré·es au rituel. Dans les interstices de la sauvagerie et de la bestialité, les acrobates s’apprivoisent au plateau et la confiance se diffuse alors au sein de ce public uni et attentif, qui finit par se laisser littéralement porter.
Les acrobaties ne sont plus la démonstration d’un savoir-faire extérieur : elles habitent les corps et la piste dans toute leur nécessité. Ce sont des pulsions physiques, instinctives et vitales pour réhabiter le présent, qui acquièrent ainsi une dimension magique.

Grâce à un très beau travail de lumière et de scénographie, Reclaim invite à partager ces rites que l’on reconnaît sans pouvoir nommer, ces cérémonies de l’imaginaire qui remontent à l’enfance, où tout paraît possible. Dans une intimité rare et féconde, le spectacle met le réel entre parenthèses dans le but d’apprivoiser l’avenir, en communauté.

  • Reclaim, cie Théâtre d’Un Jour, écrit et mis en scène par Patrick Masset, interprété par Blandine Coulon, Claire Goldfarb, Eugénie Defraigne, Chloé Chevallier, César Mispelon, Lisandro Gallo, Joaquin Diego Bravo et Paul Krügener.

Peepshow (Club Remix) – Circa

Peepshow (Club Remix)© Jinki Cambronero

Dans ce remix électro de leur spectacle Peepshow, les sept acrobates de la compagnie australienne Circa sont rejoint·es par un DJ live. Sur une musique enivrante, les circassien·nes déploient leurs immenses talents, en tenues pailletées et talons aiguilles. Ils et elles sont littéralement éblouissant·es, maîtres et maîtresses de cérémonie d’un fascinant cabaret aux accents érotiques.
Grands sourires, regards publics, danses lascives… Les sept acrobates de la compagnie Circa sont là pour nous séduire. Ils et elles ouvrent la porte des fantasmes et se font les guides de cette traversée vers l’interdit. Le cirque se montre ici dans sa grande sensualité et se réinvente dans des images originales, comme celle de cette acrobate qui grimpe sur les épaules de son porteur en talons aiguilles, arrachant quelques cris de douleurs identificatoires dans le public.

Les numéros s’enchaînent, laissant toute latitude aux artistes de présenter leur extraordinaire – voire surhumaine – virtuosité.

Le cirque se confond ici avec l’univers du cabaret dont il reprend des numéros phares comme celui du strip-tease, tout en malice, au plot-twist très surprenant. Les numéros s’enchaînent, laissant toute latitude aux artistes de présenter leur extraordinaire – voire surhumaine – virtuosité au tissu aérien, à la manipulation de boîtes à cigares, aux portés acrobatiques, au cerceau…
Ces corps sur-athlétiques se métamorphosent sans cesse, créatures chimériques serpentines et étincelantes. Armés de leurs sourires et de leurs regards perçants, les interprètes ont quelque chose de presque inquiétant. Ils et elles hypnotisent le public et l’emmène dans cet étrange voyage rythmique et sensuel. Le cirque est l’agent de ce rapport retrouvé à la liberté, la clé d’une enivrante boîte de Pandore.

  • Peepshow (Club Remix), cie Circa, conçu et mis en scène par Yaron Lifschitz, avec Sam Letch, Christina Zauner, Rhiannon Cave-Walker, Lachlan Sukroo, Chelsea Hall, Luke Thomas, Billie Wilson-Coffey et Orit Lichtik.

Duel Reality – Les 7 Doigts de la main

Duel Reality © Virgin Voyages

À l’entrée du chapiteau, le public de Duel Reality est divisé en deux équipes de supporters : les bracelets bleus et les bracelets rouges. On sent frémir l’exaltation, l’ambiance est déjà électrique. Nous allons assister à un match, et pas n’importe lequel : celui qui oppose les deux familles ennemies les plus connues du monde, les Capulet et les Montaigu. Dix acrobates vont s’affronter sur la piste, dans un ballet d’une physicalité extrêmement impressionnante.

Les circassien·nes en piste jouent en totale collaboration avec leur public de supporters : ils et elles réussissent à créer une véritable effervescence, en nous faisant prendre part à ce grand duel. Au cours de plusieurs rounds, les acrobates se narguent, se défient et mesurent leur virtuosité dans différentes disciplines. C’est très ludique, et le hasard trouve aussi sa place, teintant chaque représentation d’une couleur différente : qui va tenir le plus longtemps au jonglage à cinq balles/massues ? Qui s’arrêtera au plus près du sol en glissant du mât chinois la tête à l’envers ?

C’est assez jouissif de voir des artistes de cirque « jouer » l’adversité et le conflit, à la lumière de toutes les périlleuses acrobaties dans lesquelles ils et elles sont dépendant·es d’une collaboration et d’un soutien.

Dans ce spectacle, on distingue un réel enthousiasme et un plaisir de la compétition auquel on s’identifie sans mal. Il y a quelque chose du jeu d’enfants, presque de la parodie : les claquements de doigts à la West Side Story sont remplacés par un shifumi. C’est intéressant et assez jouissif de voir des artistes de cirque « jouer » l’adversité et le conflit, à la lumière de toutes les périlleuses acrobaties dans lesquelles ils et elles sont dépendant·es d’une collaboration et d’un soutien.

Pour enrober ce match acrobatique, Les 7 Doigts de la main reprennent l’intrigue shakespearienne de Romeo et Juliette : postulat intéressant, qui permet de poser les bases d’un schéma classique d’affrontement (avec ses amoureux maudits et ses martyrs). Mais l’interprétation du texte au micro peine à convaincre et ne paraît pas nécessaire. On est bien davantage séduit par la symbolique acrobatique, et notamment la fantastique scène de bascule entre Tybalt et Mercutio, qui s’envolent et retombent avec grâce et puissance.
Si cette réécriture circassienne de Romeo et Juliette peine à s’extraire d’une forme de cliché, on se laisse tout de même embarquer par l’extrême virtuosité des acrobates et leur rapport direct et sincère au public. C’est vivifiant et enthousiasmant.

  • Duel Reality, cie Les 7 Doigts de la main, conçu et mis en scène par Shana Carroll, interprété par Nicolas Jelmoni, Soen Geirnaert, Danny Vrijsen, Einar Kling-Odencrants, Anni Küpper, Andreas De Ryck,  Méliejade Tremblay-Bouchard, Kalani June, William Underwood et Arata Urawa.

Illustration : Reclaim © Danny Willems