Le rideau se lève sur une chambre d’hôpital, pleine d’absence. Un père que l’on abandonne aux couloirs aseptisés, un fils qui ne comprend pas comment on en est arrivé là. Il y a des silences plus bruyants que des cris, des corps qui s’effacent sans préavis, et des hôpitaux qui appliquent des protocoles comme on applique une sentence. Le paradigme a changé, dit-on. Mais qui a décidé que mourir devait être un acte administratif ? Un récit touchant par Adrian Meyronnet. 

Je suis arrivé dans la chambre 427 vers 14 heures. C’était un vendredi. Cela faisait une semaine que mon père était hospitalisé. Je veillais sur lui depuis des mois. Il venait de perdre connaissance, une fois encore, mais les infirmières ne répondaient plus, pas plus que les médecins. Après avoir tourné en rond dans le jardin, impuissant, j’avais fini par appeler les pompiers.

Lorsque la sirène a retenti dans notre impasse, mon père s’est redressé et m’a lancé un regard noir. Il a vite compris ce qui se tramait. Les pompiers ont pris sa tension, constaté son état, sa déshydratation, et ils l’ont embarqué. Le voisin a paru de l’autre côté du jardin ; mon père, que l’on avait placé sur une chaise roulante, lui a lancé un salut distingué. Le camion a disparu et les pompiers m’ont fait savoir qu’il me serait impossible de lui rendre visite, en raison de l’épidémie mondiale. 

Très vite, j’eus la sensation de l’avoir trahi. Je l’avais envoyé à l’hôpital alors même qu’il risquait d’attraper la maladie que tout le monde ou presque redoutait. Pendant quarante-huit heures, je n’eus aucune nouvelle. Les hôpitaux étaient saturés, personne ne savait où il était passé. Son état ne permettait aucune infection, aucun virus. S’il l’attrapait, il était mort. Alors je harcelais l’hôpital. Je les appelais sans cesse. On a fini par me répondre. Ces guignols ont d’abord cru qu’il avait effectivement contracté l’épidémie chinoise ; ils l’ont placé en quarantaine. Puis ils ont retrouvé sa fiche et l’ont transféré en oncologie. 

Je prenais de ses nouvelles chaque matin. Il n’était plus en mesure de me répondre, comme je devais le comprendre en pénétrant dans sa chambre, non sans avoir usé de mon entregent afin d’obtenir un laissez-passer par un médecin que je connaissais bien et avec qui mon père avait travaillé pendant des années pour lutter contre le cancer. Son téléphone était bloqué car il avait saisi trop de fois un mauvais code PIN ; il se trouvait sous assistance respiratoire. L’obtention de ce morceau de papier me prit plus d’une semaine, et je me demandai comment faisaient les autres. En 2020, en France, on laissait les gens mourir seuls sans que cela semble émouvoir quiconque. 

Lorsque je parvins au quatrième étage de l’hôpital, je trouvai un bâtiment désert et des dizaines de chambres vides. Son oncologue, harassé par mes relances, m’avait écrit quelques jours plus tôt : « Le paradigme a changé ». J’ai tourné cette phrase dans tous les sens. Quatre ans plus tard, j’ai toujours envie de foutre le feu à l’hôpital. 

...