Lucas part marcher, histoire de se vider la tête. Mais au coin d’une rue, une manifestation inattendue le heurte de plein fouet. Quelques slogans, des larmes, un groupe qui lutte pour des causes trop grandes. Ce n’est pas son combat, ce n’est pas sa vie… Mais il se retrouve happé, malgré lui. Un texte introspectif et puissant, écrit par Anne Baillot.
Arrivé à l’hôtel, Lucas se change, sort son téléphone et choisit un itinéraire de marche vers le centre-ville, pour revenir à temps au dîner avec ses collègues. Trop chaud pour courir, mais il a envie de se dégourdir les jambes après le train.
Il descend les escaliers tranquillement. Dans ces moments où le but est clair, trajectoire définie – l’hôtel, le footing, le dîner –, c’est comme si Ada n’existait pas. Pense-t-il à elle ? Même pas, ou vaguement, comme il penserait à n’importe qui d’autre. La silhouette d’Ada lui revient : son sourire, sa manière de passer en une seconde de la présence la plus intense à une sorte d’absence, perdue dans ses pensées.
Passant la porte de l’hôtel, il met toutes les conversations sur silencieux. Il affiche son itinéraire. D’abord à droite ; il pose un pied devant l’autre. Il y a du trafic à cette heure-là, mais pas trop nerveux, heureusement ; les voitures sont prises dans une sorte de routine : on s’arrête au feu, on laisse passer, on repart au vert. Les axes sont larges, deux voies dans chaque direction ; les trottoirs aussi sont larges, on avance bien malgré les travaux un peu partout.
Le quartier est un mélange de bâtiments des années 60-70, rénovés mais dont la découpe et les fenêtres trahissent l’âge, et de bâtiments beaucoup plus modernes, aux façades intégralement couvertes de verre, renvoyant la rue à la chaleur du mois d’août. Des vitres impénétrables et, en face, des tours érigées tout en hauteur cinquante ans plus tôt ; Lucas imagine une famille d’architectes qui aurait hérité du quartier et où chaque génération voudrait laisser sa marque. « Moi je mets une tour de vingt-cinq étages ; eh bien moi, je mets une façade en verre, beige, éblouissante. » Quelle ville étrange, étrangement hostile, se dit-il en longeant les barrières rouges et blanches.
Alors qu’il débouche à l’angle suivant, Lucas aperçoit un groupe posté là, d’une douzaine de personnes, peut-être un peu plus. Les manifestants – on dirait bien une manifestation – portent des vestes orange de sécurité, et des banderoles imprimées sur un tissu du même orange fluorescent. La sono est minimaliste : un micro sur pied à même le trottoir, une enceinte elle aussi sur un pied posé par terre.
Une prise d...