Guillaume Sire nous propose d’éteindre le temps. Il nous enjoint à se rallier contre la dictature des horloges et la cadence du chronométreur. Libérons nous du temps comptépour mesurer notre chance d’être en vie.
Extinction du temps compté. Adieu heures, minutes, secondes. Adieu leurs menottes à nos poignets. Retour du temps analogique. Redéploiement de la durée. Bientôt, nous nous donnerons des rendez-vous demain à l’aube, à la brune, sous l’étoile, au partage de midi. Nous arrêterons de livrer nos enfants à ce dieu qui les dévore et qui, décidément, n’en aura pas assez. Adieu le chronomètre et les fuseaux horaires. Adieu Greenwich et l’atome. L’Homme renouera avec la nature. La finance sera à nouveau au service de l’économie (i.e. on arrêtera de créer des variations de valeur pour quelques microsecondes pendant lesquelles rien, dans une entreprise, absolument rien, n’aura varié). Il y aura moins de transports, merci le risque de collision : un train le matin, un à midi et un le soir, un avion par jour et ce sera suffisant. Les chaînes de production ralentiront partout. Pendant les conflits, les troupes ne seront plus synchronisées. On retrouvera les batailles à la Braveheart : sous les doigts de rose de l’aurore, deux meutes face à face. Le salaire ne sera plus horaire. Le travail sera moins inhumain. On ne calculera plus de rendement à la seconde. Les récréations seront approximatives : au lieu de sept minutes, les ouvriers auront le temps‑de‑se‑reposer. Plus aucun rapport social ne sera chronographique.
Lorsque le tic-tac d’une trotteuse m’empêche d’être à moi, c’est moins le bruit qui me dérange que la certitude que cette trotteuse ne dit rien au sujet de ce qui est en train d’avoir lieu. Pire : en parlant, elle anéantit ce qu’il faudrait dire et sépare ce qui est certainement vrai de ce qui est prétendument réel.
Comment voulez-vous que la vie ait un sens si vous pensez qu’elle n’est rien d’autre qu’une quantité de minutes passées sur cette terre ?
Le temps compté est un idéalisme trigonométrique, mondial et totalitaire. Il empêche la poésie. Il abîme l’âme. Il contourne haineusement le paradoxe sorite et nous presse vers un cul-de-sac en forme d’issue. Pharisien, positiviste, pratique… Il fait mentir l’éternité. Voilà pourquoi il est urgent de coordonner la mesure du temps à l’ordre dont ont cherché à l’extraire prétendus maîtres et possesseurs.
Le passage de la qualification du temps à sa numération est la clef de voûte de la modernité : le triomphe du nominalisme sur le réalisme, du performatif sur le constatif, de l’abstraction sur l’analogie, de l’univocité sur l’équivocité. En 2025, soyez réalistes : brisez vos montres. Achetez des clepsydres et des sabliers. Et surtout pas de panique : frère Jacques finira tôt ou tard par sonner les matines ; alors s’écroulera la caverne bâtie par commodité, et se briseront les aiguilles qui depuis six siècles nous empoisonnent et nous effraient. Adieu heures, minutes, secondes : votre temps est compté !