Tu attends ici la fin. Étendue en position latérale d’anxiété, précisément sur les seuls trente centimètres de ton matelas que tu occupes depuis deux ans, tu te masturbes une dernière fois avec ton poisson-lune en vitesse maximale. Tu avais convoqué ta mémoire pour tapoter avec une exaltation toute particulière les codes de l’American Express de ton ancien employeur. C’était bien joué d’avoir pensé à les imprimer sur ta rétine le jour où il a demandé à sa sous-fifre de t’informer que les budgets ne permettaient pas de poursuivre la collaboration ensemble désolée. Te voilà propriétaire du Fugu Magic Motion. L’indispensable à loger dans son vagin selon le site internet aux mantras éco-poétiques. De l’auto-entreprenariat précaire tu as été libérée. Désormais tu fais partie du groupe en pleine expansion des PVSSP. Déposséder. Jouir. Des peaux cédées pour leur jouissance tu écrivais sur les feuilles et les façades. Mononiaque. 

L’objet au design aquatique était actionnable à distance via un savant système bluetooth. C’est ingénieux tu penses mais ça demande de l’avoir déjà au bon endroit lorsque untel ou unetelle veut jouer avec toi. Toutefois ça te n’excite pas outre-mesure. Le contrôle non, l’imprévu à la rigueur. En presque deux ans, tu n’as jamais proposé à untel ou unetelle de prendre le contrôle du poisson-lune puisque tu n’es qu’épisodiquement connectée aux êtres humains. Tu actionnes le bidule frénétiquement à la force de tes petites mains grignotées par le regard des autres pour faire couler de ton lobe frontal jusqu’à l’extérieur de ta chair ces pensées qui y ont décrété résidence principale. La voisine qui hurle sur son môme ou sur une mouette te déconcentre. Ses vibrations sur ton pubis se décuplent jusqu’à se fondre dans le ronronnement du réfrigérateur. Jusqu’à ce que tu remontes ta culotte jusqu’au bassin et le jean jusqu’à la taille. Le gras qui t’enveloppe se retrouve coincé entre tes côtés et le coton du pantalon à t’en couper le souffle. Ça vous fait un sacré pétard t’avait dit le vendeur. Vous allez en avoir au cul avec celui-là. 

Tu te dis que t’aimerais bien regarder les corps qui marchent dans la rue toi aussi mais tu ne vois plus que les blessures à travers les vêtements, les corps qui disent circulez y a rien à voir, plus rien à voler, on m’a déjà tout pris : ma naïveté, ma douceur, ma vie. Le monde s’est comme fissuré en deux depuis qu’ils ont gravé le tien de leur mémoire. La béance s’est élargie et désormais tu marches les pieds dans le vide. Tu flottes dans l’air trop lourd du presque rien. 

T’augmentes le volume du bout de tes orteils. La Vida es una Tombola. Il a raison Manu. Tu te revois dans une salle type salle des fêtes. Tu es seule dans cette immense salle où habituellement tu bois la Clairette Dedie qui dit pour le meilleur et pour le pire. Cette fois tu es toute seule dans cette grande salle tu as le ticket gagnant tu hurles moi moi mais ta voix ne sort pas. Ce rêve te rend souvent visite et le son ne vient jamais. Personne ne t’entend. De toute façon il n’y a plus personne autour de toi. 

Tu glisses le vertébré en silicone dans la poche latérale de ton sac avant d’y ajouter le carnet de chèques-vacances retrouvé par le hasard d’une fouille domestique. Ils ne seront pas dépensés dans l’objectif de combler un manque d’évasion exotique en seulement huit heures dans les airs à regarder des comédies sur un écran de 10 sur 10. Tu n’as pas posé tes RTT sur le calendrier en ligne des ressources humaines. Mais tu as pris congé. 

Tu as disparu, une fois de plus. Comme toutes ces fois où tu les as quittés à ce moment précis où l’ivresse rencontre la fête. C’éta...