Un homme accepte de participer à une expérience scientifique. Pour une période indéfinie, il occupe un appartement étrange qui interagit avec son hôte. Chaque jour, il doit rendre compte de ses sensations dans un journal de bord. Très vite, l’expérience vire au cauchemar.Abonnez-vous à Zone Critique pour découvrir Cellule de Norman Jangot, publié dans notre collection Vrilles dans son intégralité.
Rapport #1
Je tâcherai d’être le plus précis possible afin de n’omettre aucun détail dans ces rapports. Le CoKon se situe dans un immeuble blanc, neuf, situé à XXXXXX. D’extérieur, la résidence res- semble à toutes les autres. Des fenêtres à volets automatiques. Des balcons. Un digicode. Une double porte. Un hall de boîtes aux lettres. Mon CoKon est au troisième étage. J’y ai compté sept autres portes, sans doute factices, pour les besoins de l’expérience. Suis-je le seul cobaye ici ? Le reste de la structure abrite-t-il de l’équipement, des instruments de mesure, des scientifiques et des analystes ? Le protocole est clair : il faut que j’en sache le moins possible. Je suis quelqu’un d’ordonné, j’ai une bonne hygiène de vie, j’aime la rigueur. C’est certainement pour cela que j’ai été choisi.
Bien qu’on m’ait expliqué le projet dans les grandes lignes, rien ne pouvait me préparer à ce que j’ai vu en arrivant sur les lieux, vers 19 heures. Je vais essayer de le décrire le mieux possible. La porte, numéro 37, en dépit de sa forme rectangulaire, ne ressemble en rien à une porte. C’est une membrane épaisse de plusieurs centimètres, souple, parcourue de veinules. J’ai tout de suite voulu la toucher. J’ai posé mes doigts sur sa surface, un peu effrayé par ce que j’allais ressentir. Le contact était légèrement râpeux. J’ai tenté d’exercer une pression. Ma main s’est enfoncée dans une sorte d’arrondi. Puis, quand je l’ai retirée, la membrane a repris sa forme d’origine.
Mes yeux se sont déportés vers la serrure. Pas de poignée. Juste un trou béant d’un centimètre de diamètre. « Vous n’aurez pas besoin de clef. Seulement de votre doigt », m’a-t-on dit. J’ai alors approché mon index, je l’ai enfoncé. J’ai entendu un mouvement, pas vraiment un déclic, car rien, ici, n’est mécanique. Et soudain, la membrane s’est détendue, elle s’est rétractée sur les côtés, me laissant la place de passer. « Reconnaissance d’ADN. Votre CoKon est à vous. Une fois entré, vous serez comme reliés. » C’est ce que m’a expliqué le docteur Tanav, apparemment responsable du projet.
Des lumières se sont allumées, me révélant l’endroit où j’allais vivre ces prochains mois. Lorsqu’on m’a parlé d’un « tout nouvel habitat organique », jamais je n’aurais imaginé une chose pareille. La première pièce était cubique mais sans angle droit. Uniquement des arrondis. Les murs semblaient faits dans la même matière que la porte. Idem pour le plafond. Le sol ressemblait à une peau calleuse qui recouvrait quelque chose de plus dur. De petites alcôves abritaient des boules de lumière, j’en comptais quatre. Une sur chaque face. On pouvait voir des veines au travers. Ici, rien de technologique. « Seulement de la photosynthèse. »
Le salon comportait une forme molle qui devait être un canapé. Impossible de savoir en quelle matière il était fait. Peut-être un mélange de liquide et de chair. Lorsque, plus tard, je me suis avachi dessus, j’ai eu l’impression d’être sur un énorme sein, capable d’épouser la forme de mon corps. Il y avait quand même une table classique et deux chaises. Les pieds étaient recouverts d’une protection en plastique, certainement pour éviter les frottements. J’ai repéré, à trois endroits différents, deux trous au niveau du sol, de la taille d’une prise électrique. On m’a recommandé de ne rien y brancher de plus fort que dix ampères. À l’intérieur, pas de téléviseur, pas de chauffage. « Le CoKon régule sa température de façon autonome. » Une dernière chose à noter : la présence d’une sorte de branchie. Des fentes, semblant gérer l’aération du salon, étaient positionnées près de la porte d’entrée. Elles ondulaient à un rythme régulier.
Dès que je suis entré, j’ai noté l’odeur particulière. Je ne saurais pas la décrire, mais elle provoquait un sentiment désagréable d’étrangeté. Un mélange d’ef- fluves animales et de décharges alimentaires.
Mon pied a foulé le sol calleux. Je ne savais pas si je devais enlever mes chaussures ou non. Et puis, j’ai repensé à l’injonction du docteur Tanav : « Ne changez pas vos habitudes. Faites comme chez vous. » Alors j’ai opté pour les chaussettes. La porte, ou devrais-je dire, la membrane d’entrée, se referma derrière moi en émettant un bruit de succion. Je compris à ce moment-là que cet endroit n’avait rien d’un foyer familial accueillant.
Le salon donnait sur une cuisine et une chambre. La faim m’a poussé vers la première pièce. Assez petite. Je fus surpris d’y trouver une fenêtre laissant entrer les lumières artificielles de la nuit. Sa texture était étrangement molle et transparente. Il y avait une table. Des chaises. Et un autre sein énorme pour s’asseoir. Mais pas de four, pas de frigo, pas de plaques chauffantes. J’ai repéré trois autres trous contre la paroi que je n’ai pas osé toucher.
Je suis allé dans la chambre. En guise de lit, encore une immense mamelle, longiligne cette fois. Je redoute de devoir dormir là-dessus, mais si jamais je ne le supporte pas, je pourrais toujours m’acheter un matelas de camping, il y a assez de place. J’ai remarqué deux niches dans le mur. Elles sont vides. Certainement pour y ranger des objets. Des livres ? De la déco ? En face du lit, une plus grande alcôve. Des sortes de tiges rigides m’ont indiqué son utilité : une penderie. Je vais pouvoir décharger mes valises en espérant que l’odeur du CoKon n’imprègne pas mes vêtements.
Pour finir, j’ai aperçu encore une membrane atte- nante à la chambre qui me donne accès à ce que je crois être une salle de bain. Une petite pièce simple. Une tige sort du mur, je ne comprends pas son utilité. Plusieurs trous le long des parois, et un énorme au centre, dans le sol. L’évacuation. Des eaux usées ? D’autre chose ?
Ma tête bourdonne ce soir. Je sens une grande fatigue m’étreindre. J’arrête là mon exploration. J’ai rédigé mon rapport dans la cuisine, près de la fenêtre. Il me reste à affronter la chambre. J’ai prévu des somnifères au cas où.
J’espère pouvoir dormir.
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