Marie, sept ans, navigue entre l’amour profond qu’elle ressent pour sa mère et la peur panique face à ses colères tempétueuses. Mais rien n’affecte l’amour d’une fille pour celle qui l’a conçue. Rien, pas même les hommes qui vont et viennent, parfums anonymes dans le bout du couloir. Rien… Sauf quand on se met à jouer aux allumettes. Dans ce texte glaçant, Estelle Normand interroge ce qu’il reste à l’innocence lorsqu’elle fait face au mal.

— Arrête avec ta tête de merlan frit ! Je te jure… si tu continues à pleurer… je vais te décalquer dans le mur.

Marie aime sa mère. Profondément. Mais, du haut de ses sept ans, elle ne comprend pas pourquoi elle lui hurle dessus. 

Et lorsqu’elle entend « merlan frit », elle ne pense pas à une tête de poisson mort. Elle imagine plutôt un drôle d’oiseau avec des plumes en pétard, multicolores, car elle croit que cela s’écrit « merle-en-frie ». Surtout, quand sa mère se fâche aussi fort, ses yeux deviennent noirs comme l’encre de son stylo plume. Un nouvel objet qu’on lui a offert à la rentrée et qu’elle aime beaucoup. Depuis qu’elle l’utilise, une petite boule de chair s’est formée sur son majeur. Sa maîtresse lui a dit qu’on appelait cela « la bosse de l’écrivain ». Cette idée lui plaît bien, à Marie. Mais quand sa mère s’époumone, elle a peur que l’encre de ses yeux se déverse partout dans la pièce et l’asphyxie.

L’encre ne jaillit jamais et toujours sa mère finit par se calmer. Alors, elle presse Marie contre son cœur et elles oublient tout. La petite oublie même cette fois où elle n’avait pas réussi à se retenir et avait déféqué dans l’eau du bain, déclenchant la rage maternelle. Sa mère s’était emparée d’un morceau d’excrément et le lui avait étalé sur l’épaule. Marie sait qu’elle visait la bouche et que ce n’est que parce qu’elle avait bougé au dernier moment qu’elle n’avait pas reçu sa merde en plein visage. À l’heure du coucher, sa mère avait longtemps caressé son épaule en lui chuchotant qu’elle l’aimait malgré tout.

La nuit dernière, elle a rêvé qu’elle gravissait une montagne de pneus dans un parc. Au lieu des jeux habituels pour enfants, elle avait vu cette énorme excroissance qui ne demandait qu’à être explorée. Marie avait grimpé, persuadée d’être protégée par le regard de sa mère, assise sur un banc non loin de là. Une fois arrivée en haut, elle s’était tournée vers le banc. Vide.

À son réveil, elle pleure beaucoup, en silence. Ses draps sont trempés, une odeur aigre s’en dégage. Elle descend de son lit et traverse le couloir. Devant la porte de la chambre maternelle, une peur panique l’envahit. Elle entend des gémissements et redoute qu’on fasse du mal à sa mère. Par le trou de la serrure, elle distingue deux amas de chair entrelacés. Ça fait comme des taches roses, jaunes, marron, un peu floues et inquiétantes. 

Marie décide d’attendre dans ...